Intéressante intervention de Jacques Duchesneau, dimanche soir à Tout le monde en parle. Surprenante aussi. Faut-il suivre sa suggestion?
Essentiellement, monsieur Duchesneau suggère que l'on tienne une enquête publique sur le secteur de la construction, dans un premier temps à huis clos. Cette commission permettrait notamment de récolter davantage de preuves sur les inconduites qui se produisent. Trois juges pourraient orienter le travail des enquêteurs.
Il est fort probable que le responsable de l'unité anticollusion sera appelée à préciser sa pensée ce mardi, lors de sa comparution devant les parlementaires.
En attendant, quelques éléments suscitent dans notre esprit des points d'interrogations.
Nommer trois juges apparaît curieux
Peut-être n'est-ce qu'un mauvais choix de qualificatifs, ou encore peut-être voulait-il parler de "juges à la retraite", mais nommer trois juges actifs à la tête d'une commission d'enquête pour orienter le travail des enquêteurs apparaît à première vue difficilement réalisable.
Cela irait à l'encontre du principe de la séparation des pouvoirs. Les juges ne peuvent pas travailler avec la police, ils sont là pour juger avec impartialité.
Peut-être monsieur Duchesneau voulait-il simplement dire que les juges agiraient avec impartialité, mais que les témoignages recueillis permettraient, accessoirement de recueillir de nouvelles preuves et de voir où les efforts ont le plus de chances d'être couronnés de succès.
Il serait souhaitable qu'il précise sa pensée.
On ne peut orienter une enquête pour coincer des criminels
Même dans cette situation de juges impartiaux et de récolte indirecte de preuves, il est loin d'être certain qu'une commission soit un outil utile si l'on veut coincer des criminels.
La Cour Suprême a déjà énoncé qu'une commission d'enquête ne devait pas être constituée dans le but d'accumuler de la preuve contre des individus. En outre, plusieurs éléments obtenus lors de cette enquête ne seraient pas admissibles en preuve parce qu'ils auraient été obtenus hors la présence des garanties constitutionnelles prévues à la charte (notamment le droit de garder le silence).
L'opinion publique veut que la commission Gomery ait aidé la police dans ses investigations criminelles. Ce n'est pas si sûr. Une source nous racontait lundi que celle-ci n'avait pas réellement aidé la police et l'avait plutôt forcée à reprendre à zéro un certain nombre de ses enquêtes. La police redoutait en effet que les preuves qu'elle avait déjà contre certains individus ne soient maintenant plus admissibles contre ceux-ci dans des poursuites criminelles.
Quatre condamnations ont eu lieu (Jean Lafleur, Jean Brault, Paul Coffin et Charles Guité), mais plusieurs dossiers dorment apparemment toujours sur les bureaux des procureurs.
Il nous faut choisir
Il nous faut choisir
Il apparaît de plus en plus qu'il nous faudra choisir entre deux options.
- Une commission d'enquête immédiate qui nous permettrait peut-être d'obtenir plus d'information sur le fonctionnement des activités de corruption et collusion (on peut alors forcer des témoignages et de la production de documents). Cette commission ne nous permettrait cependant vraisemblablement pas d'accomplir ce que tout le monde réclame: envoyer un grand nombre de coquins en prison.
- L'autre option est de laisser aller les enquêtes actuelles et voir si le système sera en mesure d'obtenir plusieurs condamnations. Monsieur Duchesneau semble douter que l'on puisse en arriver à des résultats importants de ce côté, faute de preuves (sans l'aide d'une commission). Il serait intéressant de savoir ce qu'en pense Robert Lafrenière, responsable de l'unité anticorruption de qui relèvera prochainement monsieur Duchesneau.
Ce que l'on préférerait
Ce que l'on préférerait?
Avoir encore un peu de temps pour mieux réfléchir à tout cela!
On était initialement assez fermé à la tenue d'une commission d'enquête. À quoi bon, si elle ne peut servir à envoyer plus de coquins en prison.
Force nous est cependant de reconnaître qu'elle pourrait peut-être être utile si les autorités ne saisissent pas actuellement comment fonctionnent les mécanismes de délinquance dans toute leur étendue.
Il peut en effet se trouver des situations où des assignations formelles sont nécessaires pour mieux comprendre les mécanismes de fonctionnement d'un système (comment voyagent des fonds par exemple).
Il faudrait cependant baliser. Il y a pas moins d'une dizaine de questions à creuser dans ce rapport: le financement des partis politiques, les ententes entre entrepreneurs et firmes d'ingénierie, les ententes entre entrepreneurs eux-mêmes, les achats de fonctionnaires, les situations oligopolistiques, les fausses factures, la présence de la mafia, l'intimidation syndicale, etc.
C'est beaucoup trop large et l'on en aurait pour des années et des millions (Gomery avait coûté 35 M$ sur une question relativement simple par rapport à celles-ci).
Toutes ces questions ne demandent pas la tenue d'une commission pour comprendre les processus délinquants.
En résumé: oui à une commission d'enquête, mais restreinte à ce qui demande vraiment à être creusé, et après que l'on ait donné un certain temps à la police pour compléter ses enquêtes criminelles les plus importantes. Ça n'empêche pas d'entretemps resserrer nos règles, nos processus et notre surveillance à partir des rapports qui viendront de l'unité anticollusion.
P.S. Pour un intéressant point de vue sur le dossier, l'opinion de Me Simon Ruel, qui a notamment été procureur à la Commission Gomery et à la Commission Bastarache.