Les dés ne roulent pas en faveur de Bombardier, ces jours-ci. Après la suspension du programme Learjet 85, les craintes sur les liquidités, l'arrêt de la production des voitures du métro de Montréal à La Pocatière, voilà maintenant qu'elle se retrouve face à des allégations de corruption en Corée du sud.
Radio-Canada a mis la main sur un rapport d'enquête de l'équivalent coréen de l'UPAC. Celui-ci soutient qu'entre 2003 et 2005, Bombardier aurait versé des cadeaux et des voyages à des fonctionnaires et des élus. Un fonds de 2 M$ aurait aussi été clandestinement constitué pour faire du lobby pour d'autres projets en Corée.
Aucune accusation n'a été portée contre Bombardier en raison de l'expiration des délais de poursuite, selon les sources coréennes que cite Radio-Canada. Aucune accusation n'a été portée parce qu'il n'y a pas eu de pots-de-vin, dit Bombardier.
Qu'en penser?
On a obtenu quelques détails supplémentaires sur l'affaire. Et ces nouveaux détails soulèvent de nouvelles interrogations. Mais allons-y en ordre.
Les frais de voyages et cadeaux
D'abord sur les frais de voyage et cadeaux.
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Entre 2003 et 2005, Bombardier a payé trois voyages au Canada à 37 personnes. Dix-huit d'entre elles étaient des membres du conseilmunicipal de Yongin, où Bombardier a construit un train de desserte.
Notons au passage que Bombardier était impliquée pour le tiers du consortium réalisant le projet et a investi 200 des 600 M$ requis.
En défense, Bombardier plaide qu'il était prévu à son contrat que des représentants de la Corée viendraient en visite au centre d'ingénierie et de développement du projet, à Kingston, au Canada.
Un porte-parole de Bombardier, avec qui on s'est entretenu, reconnaît que des voyages ont été payés, mais ne peut dire à combien de personnes.
On peut remettre en question les façons de faire de Bombardier, mais, en l'absence de détails supplémentaires, ces voyages peuvent difficilement être qualifiés de tentatives de corruption. Ils semblent en effet en bonne partie appuyés par un objet (ils sont déjà prévus au contrat pour des motifs de familiarisation et de validation des avancements du projet). On observera en outre que Kingston n'est pas nécessairement le bonbon le plus exotique à offrir lorsque l'on recherche des faveurs.
Sur les voyages donc, l'allégation semble assez faible.
Ça devient plus compliqué avec le fonds clandestin de 2 M$
Ça devient plus compliqué avec le fonds clandestin de 2 M$
C'est ici qu'est l'allégation la plus importante.
Bombardier aurait créé un fonds clandestin de 2 M$ afin que son représentant puisse faire du lobby sur d'autres projets en Corée.
La société québécoise nie la chose, et dit que ce fond n'a jamais existé.
Il y a ici un manque de détails important.
Évidemment, s'il est clandestin, il est normal qu'il n'apparaisse pas aux livres de l'entreprise. C'est un peu ce qui s'était produit chez SNC-Lavalin où l'argent détourné faisait l'objet de faux postes budgétaires et de fausses inscriptions pour régulariser les sorties.
C'est une accusation très sérieuse, qui peut avoir d'importantes conséquences.
Une première difficulté à son fondement est que l'on allègue l'existence de ce fonds de 2 M$, mais qu'aucun détail n'est fourni sur l'utilisation qui en a été faite. Une deuxième difficulté au fondement est que l'on soutient qu'une histoire d'expiration de délais a périmé les accusations. On n'est pas expert du droit coréen, mais, d'ordinaire, les accusations de corruption sont de nature criminelle et n'ont pas de prescription.
Le reflexe est donc de penser que l'accusation est gratuite.
Il y a cependant quelques points d'ombre dans l'histoire pour Bombardier.
Il y a, et c'est la nouveauté de l'affaire, que le président du consortium et représentant de Bombardier, Kim Hak-pil, également connu sous le nom de Henry Kym, a été personnellement accusé et condamné pour détournements de fonds.
Le 15 février 2013, monsieur Kym a été reconnu coupable de s'être approprié la somme de 161 000$ au dépend du consortium.
Lors du dépôt des accusations, il n'a pas été suspendu de ses fonctions. Bombardier explique qu'elle se devait de respecter la présomption d'innocence. Ca apparaît à première vue curieux, dans un contexte où administrativement parlant Bombardier donne l'impression d'être demeurée inactive.
Il est de surcroît curieux qu'un corps policier externe ait réussi à obtenir la preuve de détournements de fonds que les contrôles administratifs de Bombardier n'ont pu voir.
On dira que c'est un petit montant et qu'il était difficilement décelable, qu'une entreprise n'est pas à l'abri de tels agissements. C'est vrai.
Mais le 2 M$, lui?
Si les deux parties finissent par s'entendre sur le détournement de 161 000$, pourquoi ne se rejoignent-elles pas sur l'existence ou non du 2 M$?
L'explication n'a été fournie par personne.
On croit personnellement Bombardier lorsqu'elle affirme que le fonds de 2 M$ n'existe pas. Mais il serait souhaitable que le conseil d'administration confirme:
1-qu'il s'est penché sur l'affaire;
2- qu'il y a eu vérification approfondie des états financiers du consortium et de Bombardier et que ce compte de 2 M$ n'existe pas;
3- qu'il précise d'où vient à ses yeux la différence d'interprétation avec les Coréens.
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