BLOGUE. Ce que l’on suspectait depuis quelques mois est sur le point de se produire : l’américaine Lowe’s a officiellement manifesté son intérêt pour Rona. Le gouvernement du Québec n’est pas d’accord et la Caisse ne le semble pas non plus. Analyse de la grande manœuvre que pourrait tenter Québec, et pourquoi, ultimement, la balle risque d’aboutir à Ottawa.
À la dernière assemblée annuelle de Rona, ce printemps, le chef de la direction Robert Dutton y était allé d’un véritable cri du cœur. « Le consommateur veut que nous restions canadiens. Nous sommes les seuls à encourager le secteur manufacturier canadien, nous jouons un rôle dans les communautés, nous avons une politique environnementale. Nos actionnaires, qu’ils soient petits ou de gros fonds, doivent soutenir Rona. C’est une grande responsabilité, c’est une question d’éthique », avait-il lancé.
Un cri du cœur, qui était aussi une prémonition cauchemardesque pour la Caisse de dépôt, avec sa participation (à l’époque) de 12,18%. Que faire en effet si la prime offerte par Lowe’s est intéressante? Vendre pour donner du rendement aux déposants de l’État, ou bien s’objecter au nom de l’intérêt économique du Québec? La fameuse équation « rendement = développement économique du Québec », mise au point par Henri-Paul Rousseau, ne tient soudainement plus la route. La situation illustre parfaitement comment « rendement » peut en certaines occasions ne pas être à l’avantage du développement économique du Québec.
SUIVRE SUR TWITTER: F_POULIOT
La Caisse n’a pas tardé à réagir, mardi. Et sa réaction est fort intéressante, en ce qu’il y transparaît une très nette volonté d’attribuer beaucoup de poids au volet « développement économique » de sa mission. Elle prendra compte de « la création de valeur à LONG TERME des déposants », des retombées économiques du siège social, de l’importance du développement continu du réseau de fournisseurs au Québec et au Canada et du respect du rôle des entrepreneurs franchisés indépendants, a-t-elle en avant-midi indiqué dans un communiqué. En après-midi, elle annonçait avoir passé l’avant-midi à acheter des actions de Rona et avoir fait grimper sa participation à 14,18%.
En bref, la Caisse n’apparaît pas favorable à cette transaction.
Quelle sera la suite des choses?
Le conseil d’administration de Rona a rejeté l’offre à 14,50$ de Lowe’s. La première bataille est gagnée, mais c’était aussi la plus facile. Avant l’annonce, les analystes qui évaluaient ce que serait un prix raisonnable pour Rona en cas d’OPA avaient une fourchette d’évaluation se situant entre 13$ et 19$.
Les choses se compliqueront lorsque Lowe’s portera son offre dans le haut de la fourchette.
Si jamais les administrateurs devaient décider qu’une offre à 17-18$ est encore insuffisante, il y a fort à parier que Lowe’s indiquera que le conseil de Rona n’agit pas dans l’intérêt des actionnaires et transformera son offre en une OPA hostile qui sollicitera chacun d’eux directement.
Dans pareille situation, sans intervention des gouvernements, la nationalité canadienne de Rona n’a aucune chance de résister.
Comment bloquer la transaction?
Comment bloquer la transaction?
Le ministre Raymond Bachand a annoncé mardi matin qu’il avait demandé à Investissement Québec d’examiner toutes les possibilités offertes pour bloquer la transaction, y compris la création d’un nouveau Fonds de défense des intérêts du Québec.
En conférence de presse téléphonique en après-midi, monsieur Bachand a cependant bien précisé qu’il n’était pas question de nationaliser Rona et que la participation du gouvernement serait « raisonnable ».
Voici ce que le gouvernement et la Caisse pourraient bien avoir à l’esprit.
À elle seule, la Caisse ne peut pas bloquer la vente de Rona. Les lois canadiennes font en sorte que lors d’une OPA, l’acquéreur obtenant 66,6% des actions a la possibilité de forcer la vente du reste des actions par une procédure juridique (et ce au même prix que ce qui a été offert aux autres actionnaires).
C’est ce que Lowe’s cherche assurément à obtenir, 100% du contrôle de Rona. Ce faisant, elle pourrait utiliser les flux de trésorerie de l’entreprise québécoise pour rembourser la dette que lui occasionnera l’acquisition.
À défaut d’obtenir 100% des actions, le financement de la transaction devient plus complexe. Lowe’s ne pourra utiliser que le dividende de Rona pour rembourser sa dette, ce qui ira beaucoup moins vite. Il faut en effet respecter l’actionnaire minoritaire et ne pas dépouiller la filiale de sa trésorerie.
La marque à atteindre pour mettre du sable dans l’engrenage de la transaction est donc de 33,33%. Une bonne partie du chemin est déjà parcouru avec la Caisse qui a désormais 14,18% des actions. Robert Dutton a déjà indiqué que les détaillants pouvaient détenir au moins 10% des actions. On est potentiellement à plus de 24%. Le Fonds de solidarité est réputé avoir 3,5%, on est à près de 28%.
Monsieur Bachand a appelé d’autres acteurs à participer au sauvetage. Ce n’est pas impossible, mais on n’aurait pas trop d’espoir. Ces « appelés » devront avoir une très forte conscience nationale car on les tentera avec une offre autour de 18-19$, qui, si elle ne passe pas, ramènera le titre à 11$.
Au cours actuel de Rona, s’il veut accumuler une position lui permettant d’espérer nuire à Loew’s, le gouvernement du Québec devra donc probablement sortir autour de 100 M$ pour que sa participation, combinée à celle de la Caisse, du Fonds et éventuellement des détaillants, atteigne le chiffre magique de 33,33%.
Ce n'est pas une si forte somme. L'investissement pourrait toutefois perdre en valeur pour un certain temps si Québec réussit et que l’offre est retirée.
Même en cas de succès de l’opération, et d’un blocage de l’accès aux flux de trésorerie, il n’est pas dit que Rona sera automatiquement sauvée.
Il est en effet possible que Lowe’s décide de tout de même aller de l’avant avec l’acquisition. Avec 66% des actions, elle pourrait se doter d’un conseil majoritaire et implanter ses politiques. La dette serait plus lourde à assumer, mais l’entreprise aurait aussi l’occasion de se familiariser avec de plus petits formats de magasins et de voir comment fonctionnent des établissements franchisés. Aux États-Unis, le marché des big box est à maturité et il n’est pas impossible que son plan de match soit pour une expansion avec de plus petits formats. C’est ce que fit notamment Walmart.
Lowe’s a en outre les moyens d’assumer la dette liée à l’acquisition de Rona, même sans accès aux flux de trésorerie. Pour donner un peu de perspective, Rona vaut quelque chose comme 2,25 G$ à 18$ par action, alors que l’actuel programme de rachat d’actions du géant américain est de 4,5 G$ US.
Si les manœuvres de Québec échouent, y a-t-il une autre option?
Si les manoeuvres de Québec échouent, y a-t-il une autre option?
Oui. On l’a vu avec Potash, et maintenant avec Nexen, lorsqu’une entreprise passe à des intérêts étrangers, la Loi sur Investissement Canada prévoit qu’il doit être démontré que la vente est à « l’avantage net du Canada ».
Il se pourrait que Lowe’s frappe ici un nœud. Rona indique que 84,3 % de ses achats (produits et services) sont effectués au Canada.
Ce n’est pas rien. Le chiffre est malheureusement sans doute significativement gonflé par l’inclusion des importateurs canadiens. Nombre de produits qualifiés de canadiens sont en effet probablement manufacturés ailleurs. Il faudra que le calcul soit raffiné.
Monsieur Bachand a cependant raison de s’inquiéter pour les emplois qui seraient éliminés chez certains fournisseurs et manufacturiers.
En attendant, tout le branle-bas auquel s’adonne Québec donne à penser que le fédéral n’est pas convaincu qu’il devrait bloquer la vente du quincaillier québécois.