Yellow Media, sa direction et son conseil d'administration ont-ils commis une faute et engagé leur responsabilité en ne divulguant pas plus tôt au marché qu'ils étaient en défaut technique sur leur convention de crédit?
C'est la question qui se pose au lendemain de nouvelles pertes boursières principalement attribuables à l'annonce d'un pacte de crédit plus contraignant qu'auparavant.
Dans son communiqué, émis mercredi, la société indique:
"Par suite de la révision à la baisse de ses cotes de crédit annoncée le 4 août 2011, Yellow Média est devenue assujettie à une restriction contenue dans sa convention de crédit qui limite le montant total des excédents de trésorerie qui peuvent être versés à titre de dividendes et affectés au rachat de titres au cours de toute période des 12 derniers mois. Dans le cadre des modifications, Yellow Média obtient une renonciation à cette restriction sur les distributions pour la période des 12 derniers mois antérieure."
Questions:
1- Yellow Media savait-elle dès le 4 août qu'elle était en défaut sur sa convention de crédit, ce qui permettait au syndicat bancaire de rappeler ses prêts?
2- Pourquoi ce défaut n'a-t-il pas été divulgué avant le 28 septembre?
La réponse à ces questions n'est pas sans conséquences financières pour les actionnaires, particulièrement pour ceux qui ont acheté depuis le 4 août, jour de la décote des débentures au rang de junk bonds. À cette date, le titre était à 1,05$. Il a clôturé mercredi, jour du dévoilement de la situation, à 0,28$, une baisse de plus de 70%.
Le principe légal est le suivant. Une société a l'obligation de diffuser un communiqué de presse dès que survient dans ses affaires un changement important, encore inconnu du public, et susceptible d'exercer une influence appréciable sur la valeur ou le cours de ses titres. Il y a cependant quelques échappatoires possibles, notamment si l'on croit que l'information pourrait causer un préjudice grave à ses intérêts.
Ce qui s'est passé le 4 août
En étant décoté par Standard & Poor's, la société est devenue sujette à une disposition prévoyant un ratio sous lequel il lui devenait interdit de payer son dividende et racheter de ses actions.
La société nous a expliqué qu'aucune allusion n'a été faite le 4 août à la nécessité de couper le dividende parce qu'elle n'avait pas encore réalisé qu'elle était en porte-à-faux avec sa convention de crédit.
Elle considérait qu'avec un dividende de 0,15$ par action, elle était toujours en conformité avec le ratio financier prévu à ses conditions. Malheureusement, ce calcul ne devait pas être fait sur une base de dividende actuel en continue, mais plutôt en tenant compte des dividendes versés dans les douze derniers mois. Or, le dividende des derniers mois était à 0,65$. En l'incorporant dans le calcul, la société devenait donc en contravention de sa convention.
Ce n'est que plus tard, à une date non précisée, que Yellow prit apparemment conscience du problème. La société avait déjà déclaré son dividende pour le trimestre et souhaitait être en mesure de le verser pour les deux prochains mois.
C'est à ce moment que les banquiers auraient indiqué qu'étant donné le défaut de Yellow, les lignes de crédit allaient être en partie rappelées. Et que les négociations vers l'entente annoncée le 28 septembre s'ouvrirent. (On notera que le prêt était non garanti et que les banques semblent avoir profité d'une faute technique pour diminuer leur risque).
Quand peut-on présumer que Yellow a su?
Le 6 septembre, la société annonçait que son chef de la direction financière, Christian Paupe, quittait l'entreprise. Monsieur Paupe a apparemment été remercié par le conseil d'administration.
Aucune explication n'est fournie dans le communiqué sur les raisons de son départ. Il y a cependant une forte présomption qu'à compter de ce moment le conseil d'administration est au courant que la société a de graves problèmes avec sa convention de crédit.
Pourquoi le défaut n'est-il pas communiqué à ce moment?
Justification de l'entreprise: "Nous n'étions pas en défaut. Nous l'aurions été le 30 septembre si nous n'avions pas renégocié l'entente de crédit. Nous faisons nos rapports aux banques de façon trimestrielle."
En d'autres mots, l'entreprise savait qu'elle était en situation de défaut, mais celui-ci n'avait pas encore été juridiquement constaté.
L'argument est-il valable?
L'argument est-il valable?
Si le 6 septembre l'entreprise jugeait que le départ de son chef de direction était un changement important à communiquer au marché, il apparaît que le défaut technique constaté (même s'il n'était pas encore cristallisé), les discussions en cours avec les banques et surtout la possibilité que le dividende ne puisse être versé, étaient un changement encore plus important.
Certains feront valoir qu'il faut laisser à une entreprise le loisir de négocier avec ses créanciers avant une date de défaut, ce qui peut potentiellement permettre d'éviter une panique de marché?
Bon point. Encore faut-il cependant que le marché ait en sa possession les éléments nécessaires lui permettant d'évaluer le risque de défaut. Souvent, les conditions de crédit lui sont déjà communiquées (ce qui permet aux analystes de lever certains drapeaux jaunes). Il n'est pas très clair ici si celles-ci avaient déjà été communiquées (au moins un analyste dit que le marché ne savait pas).
Il serait intéressant de voir à quelle conclusion en viendrait un juge.
Une autre question
Voilà pour la controverse du silence du 6 septembre à aujourd'hui.
Une autre question se pose cependant pour la période démarrant dès le 4 août. À cette date, des indications relativement rassurantes (à noter le terme relativement) ont été données au marché quant aux capacités financières de l'entreprise, alors que la direction soutenait qu'elle prévoyait racheter des actions privilégiées avec ses liquidités plutôt que par conversion.
Or, même si elle ne l'avait pas encore constaté, elle promettait ce jour là ce que la convention lui interdisait désormais. Une cour pourrait-elle conclure qu'elle aurait dû savoir à ce moment qu'elle livrait une indication potentiellement trompeuse sur ses capacités financières? Et son portefeuille être cette fois engagé sur la base des dispositions sur la responsabilité civile prévues au Code civil?