Tiens, tiens... Les Américains n'avaient finalement pas tort. Près de cinq ans après la grande bataille, force est de constater que les dirigeants de Casey's avaient raison de résister à l'offre non sollicitée de la québécoise Couche-Tard.
L'histoire nous est revenue à l'esprit il y a quelques jours, en voyant passer les ventes d'avril de la société américaine de dépanneurs.
C'est tout un affrontement qui avait eu lieu en 2010. Le conseil d'administration de Casey's refusait de vendre à Alimentation Couche-Tard, estimant son offre insuffisante, et manoeuvrait de manière à ce que ses actionnaires n'aient pas à se prononcer. Couche-Tard avait tenté d'imposer ses administrateurs au CA, mais avait échoué.
À combien se situait l'offre de Couche-Tard à l'époque ? 38,50 $ US.
À combien est le titre de Casey's, cinq ans plus tard ? 90 $ US.
C'est plus qu'un doublé. D'où le constat initial.
Casey's peut-elle poursuivre sur sa lancée ? Ne vaudrait-il pas mieux jouer Couche-Tard ? Ou encore, s'éloigner à toutes jambes des deux titres ? Voyons-y de plus près.
Le plan de match de Casey's
La stratégie de la société de l'Iowa s'appuie sur trois axes clairement énoncés.
1. L'ouverture 24 heures sur 24. En ce moment, 825 des 1 870 établissements sont ouverts 24 heures. Les résultats sont porteurs. Dans la première année qui suit l'ouverture, les ventes de mets préparés augmentent de 20 à 30 %, la marchandise générale et d'épicerie de 15 à 20 %, et le nombre de consommateurs de 10 %. Au final, une exploitation 24 heures fait en moyenne gonfler le bénéfice d'un établissement de 15 %. L'objectif est de porter le nombre de dépanneurs ouverts 24 heures sur 24 aux deux tiers des emplacements à raison d'une centaine d'implantations par année.
2. La rénovation. Plus de 250 dépanneurs ont été rénovés au cours des dernières années. C'est dire qu'on leur a ajouté de l'espace réfrigéré pour offrir davantage de produits (thés, boissons énergétiques, etc.). Il s'ajoute aussi du café et des sandwicheries. Dans la première année qui suite la rénovation d'un établissement, les mets préparés et les ventes de boissons en fontaine augmentent en moyenne de 30 %, les ventes d'épicerie de 10 % et l'achalandage de 10 %. Le bénéfice des dépanneurs augmente généralement dans les deux chiffres la deuxième ou la troisième année. Les rénovations exigent cependant d'importants investissements, ce qui explique pourquoi Casey's rénove seulement 25 établissements par année.
3. La livraison de pizza. La presque totalité des Casey's offre de la pizza maison, et celle-ci compte pour 60 à 70 % des activités de mets préparés. À ce jour, l'entreprise dénombre 355 dépanneurs qui font de la livraison. Elle met actuellement au point un service de commandes par Internet. Une fois que ce service sera mis en place, l'objectif sera d'introduire le service de livraison à 100 établissements par année. La rentabilité liée à l'ajout d'un tel service n'est malheureusement pas dévoilée.
Y a-t-il trop d'anticipation ?
On le voit, Casey's a un plan de match intéressant, modélisé, qui livre des résultats prévisibles et qui peut encore être implanté dans plusieurs dépanneurs. Il est probable que ce plan continuera de créer de la valeur au cours des prochaines années.
La question est cependant de savoir si celle-ci est déjà escomptée par les investisseurs. L'exercice est particulièrement difficile avec les chaînes de dépanneurs qui exploitent des stations-service. Les marges bénéficiaires provenant de la vente d'essence sont assez bonnes depuis quelques mois, mais cette rentabilité peut soudainement reculer et considérablement faire varier la hauteur des bénéfices. La Deutsche Bank, qui s'est récemment entretenue avec la direction sur son plan de match, tente d'exclure cette volatilité de ses prévisions. Après avoir normalisé le bénéfice de 2016 (avril) et lui avoir appliqué un multiple légèrement supérieur à son multiple moyen des cinq dernières années, elle obtient une cible à 87 $ US pour le titre.
C'est la cible pour la prochaine année. Sur un an, le potentiel semble faible. Pour ceux qui voient sur un horizon de cinq ans, le titre semble cependant avoir un potentiel attrayant, assorti d'un risque de recul limité.
Le plan de match de Couche-Tard
L'approche terrain de l'entreprise lavalloise est moins détaillée. Alimentation Couche-Tard n'a jamais été très explicite sur ses stratégies de mise en marché. Elle manoeuvre discrètement.
La direction n'en demeure pas moins toute une exploitante et a, en prime, une touche magique pour les acquisitions. Pendant que Casey's doublait la valeur de son titre sur cinq ans, Couche-Tard la quintuplait.
Évidemment, plus grande est la taille, plus la croissance est difficile à générer. Mais la tendance des pétrolières à vouloir se défaire de leur réseau de distribution ne semble pas vouloir s'estomper, et d'autres importantes acquisitions devraient survenir en Europe et en Asie dans les prochaines années.
En utilisant les tables de Barclays, de la TD et de la CIBC pour normaliser le bénéfice (en tenant compte des fluctuations de l'essence), on constate ce qui suit. S'il se négociait à son multiple moyen de la dernière année (16 fois) par rapport au bénéfice prévu de 2016, le titre devrait valoir un peu plus de 40 $. Mais s'il se négociait au multiple moyen du secteur (20 fois), il devrait valoir environ 52 $.
On est davantage porté à utiliser le multiple moyen, car Alimentation Couche-Tard a un historique de création de valeur supérieur aux comparables. Sur la seule prochaine année, la société semble donc sous-évaluée. Et on ne tient pas compte des quatre années suivantes.
Conclusion ?
Casey's et Couche-Tard sont deux titres intéressants. Entre les deux, on choisirait celui de la société québécoise.