Le gouvernement du Québec vole au secours de Bombardier et injecte 1,3 G$ CAN pour devenir partenaire à 49,5% dans le programme CSeries. Une bonne idée pour les actionnaires et les contribuables?
Avant de traiter du potentiel de la nouvelle entité, quelques commentaires d'intérêt général.
L'historien qui regardera l'aventure du programme CSeries conclura évidemment à un échec financier retentissant. Bombardier a injecté plus de 5 G$ US dans le développement du programme. C'est ce qu'elle avait à ses livres comme valeur du programme. Elle radie en grande partie cette valeur, ce qui veut dire qu'elle a perdu espoir de récupérer cet argent dans l'avenir. La valeur du programme n'est plus que d'un peu plus de 1G $, montant qui est transporté dans la nouvelle société en commandites pour acquérir son intérêt de 50,5%.
Comment en est-on arrivé là?
Il y a huit mois, Bombardier procédait à une émission d'actions qui visait initialement à récolter 750 M$ CAN. Elle allait finalement permettre de récolter 1,1 G$ CAN. Cette somme, combinée à l'inscription en bourse et à la cession d'une partie de la division Transport, devait permettre à l'entreprise d'assurer tous ses besoins financiers dans l'avenir.
Surprise, il y a quelques semaines, le marché apprend que Bombardier cherche de nouveau de l'argent. Opération difficile s'il en est une, puisque le chapeau a été passé, et tout le monde perd déjà de l'argent sur le dernier financement (il est survenu à 2,21$ par action et le titre oscille autour de 1,60$).
D'où est venu ce besoin de liquidités supplémentaires?
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La direction a indiqué jeudi qu'elle croyait elle aussi que le financement et la vente d'une participation dans Bombardier Transport seraient suffisants pour lui permettre de mener à terme le CSeries. Mais, quelques mois plus tard, elle s'est aperçue que le marché des avions d'affaires Global 5000-6000 était en train de tomber. Elle a réduit sa cadence de production de 80 appareils à 50 appareils, ce qui s'est traduit par des revenus futurs et des dépôts de garantie moindres. Conséquence, un trou de plus de 1 G$ US.
Québec pose-t-il le bon geste?
Beaucoup de choses se sont dites jeudi sur le sauvetage par Québec de Bombardier.
Il y a la question de l'intervention de Québec et celle de sa forme.
Pour le Québec, il fallait une injection d'argent du gouvernement. Bombardier n'avait plus de capacité financière suffisante. C'est un symbole de l'aéronautique et quelques milliers d'emplois bien rémunérés étaient en jeu. Une bonne partie de ces salariés se seraient évidemment replacés, mais les baisses de rémunération auraient pu avoir des répercussions sur le trésor public avec le passage des années.
Sur la forme maintenant.
Certains estiment que le gouvernement fait une erreur en investissant directement dans le programme CSeries, qu'il aurait plutôt dû investir dans la société mère Bombardier, qui est plus stable grâce à sa division ferroviaire et ses avions d'affaires.
Il n'est pas ressorti clairement pourquoi cette voie n'avait pas été utilisée.
La direction de Bombardier indique que cette avenue n'a pas été envisagée lors des négociations. On a posé la question sur ce qu'aurait été l'impact d'une injection de 1 G$ sur le contrôle de la famille Bombardier-Beaudoin, mais apparemment le calcul n'a pas été fait. Avec ses multivotantes, la famille détient actuellement autour de 54% du vote de Bombardier.
Un argument nous a été présenté par le gouvernement, sans trop que l'on sache s'il était préalable à la décision d'investissement ou ultérieur à la controverse. Il est à l'effet que Bombardier affiche aujourd'hui une équité négative de plus de 3,6 G$. C'est dire que la valeur aux livres de ses actifs est inférieure à sa dette. L'argument visait à illustrer que le risque était aussi important à la société mère.
La valeur aux livres est une chose, la valeur au marché une autre. Quoique au ralentit, le marché des avions d'affaires ne donne pas de signe d'effondrement. Le carnet de commandes de la division transport est pendant ce temps très solide et la rentabilité devrait s'y améliorer avec le temps. Les actifs valent toujours nettement plus que ce qui est aux livres.
Une injection directe dans la société mère aurait été préférable. Le pari aurait été moins risqué.
La société en commandite peut-elle créer de la valeur?
La société en commandite peut-elle créer de la valeur?
Les choses étant néanmoins ce qu'elles sont: la société en commandite peut-elle créer de la valeur, de manière à enrichir les actionnaires et le contribuable?
On a été surpris d'apprendre que les flux de trésorerie (cash flows) ne seraient pas à l'équilibre avant 2020. Et que Bombardier devrait remettre 1 G$ en cours de route pour permettre au programme d'arriver à cet équilibre.
L'horizon d'équilibre des cash flows est nettement plus lointain que ce qui était envisagé dans la plupart des scénarios des analystes. C'est long.
Cela ne veut pas dire qu'il faudra cinq ans avant que l'entité ne prenne de la valeur. Une méthode d'évaluation, particulièrement utilisée dans le secteur de la biotechnologie, consiste à évaluer les cash flows futurs que pourrait générer un investissement et à les actualiser pour déterminer combien vaut aujourd'hui cet investissement.
C'est vraisemblablement vers ce modèle d'évaluation que l'on convergera.
En théorie, si le projet fonctionne, la future injection de capital de Bombardier dans la société en commandite viendra diluer l'intérêt de Québec, mais devrait se faire à un prix plus élevé qui viendra plus que contrebalancer sa diminution de participation.
Il faudra cependant trois choses pour que la valeur de la société en commandite ne commence à se refléter dans le cours de l'action de Bombardier.
1-Du temps.
2-Que Bombardier soit un peu plus précise sur son plan de match. Pour l'instant, on sait qu'elle démarre avec 15-20 appareils produits pour la première année et vise à augmenter la cadence à 100-120 dans le temps. On ne sait pas sur quel horizon elle vise cette production, ni à combien elle devient cash flows positive, ni quelles sont les marges espérées. Plus de précisions pourraient venir prochainement à la rencontre des investisseurs.
3-Il faudra surtout que le marché soit présent. Bombardier évaluait initialement le marché du 100-150 passagers autour de 7000 appareils sur 20 ans. Elle visait une part de marché de 50% (3000-3500 appareils). De discussions avec Québec et la direction, il semble que le marché en vue aujourd'hui soit davantage autour de 5000 à 6000 appareils.
Cette évaluation est à mettre en parallèle avec une autre, de RBC Marchés des capitaux, qui s'appliquait récemment à recenser le nombre d'appareils 100-150 passagers vendus dans les 15 dernières années. La maison projetait ensuite le résultat moyen obtenu par année sur 20 ans. Nombre total de ventes espérées: 3000.
C'est la moitié moins. Il n'est pas impossible que le marché grimpe face à l'arrivée d'un appareil plus performant. Il faudra cependant vraiment que les sociétés aériennes soient charmées par le CSeries.
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