En voyant la nouvelle, en matinée, on a plusieurs fois cligné des yeux. Et l'on s'est pincé. Ouf, ça va chauffer…
C'est trois mauvaises nouvelles en une qui viennent de frapper Bombardier.
-Elle met sur la glace son programme de développement Learjet 85 (et met à pied 1000 travailleurs). Personne ne s'attendait à pareille annonce. Encore récemment, la direction parlait avec confiance du programme.
-Elle revoit à la baisse l'aperçu qu'elle avait donné sur ses marges bénéficiaires pour l'exercice 2014. Une révision d'autant étonnante qu'ici encore la direction avait récemment réitéré son objectif d'atteindre une marge BAIIA de 6% dans la division transport (maintenant à 5%).
-Elle prévient que les flux de trésorerie en provenance de ses activités seront à 800 M$ plutôt que dans la fourchette 1,2-1,6 G$ (qu'elle avait donnée comme aperçu).
Officiellement, Bombardier met en suspend son programme de développement du Learjet 85 parce que le marché pour l'appareil, qu'elle anticipe voir se redresser depuis 2008, ne s'est toujours pas redressé. Il lui apparaissait donc préférable de stopper les coûts en attendant que les choses se replacent.
Les investisseurs ont cependant une autre interprétation: se pourrait-il que Bombardier arrête le programme parce qu'elle est menacée de manquer d'argent?
Réponse: ça semble être pour les deux raisons.
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Faut-il s'inquiéter des liquidités?
Officiellement Bombardier a 2,4 G$ d'encaisse et un accès à des lignes de crédit de 1,4 G$. Total: 3,8 G$.
La direction estime que, dans des années de développement, pour pouvoir opérer convenablement, elle doit avoir à chaque début d'année accès à près de 3 G$. En cours d'année la somme peut baisser, les premiers trimestres donnant généralement lieu à moins d'entrées d'argent.
Allons-y d'une simulation.
La société a brûlé en 2014 pour l'équivalent de 1,5 G$.
On ne sait trop encore combien d'argent elle anticipe devoir brûler en 2015, c'est une information que l'on devrait être en mesure d'estimer le 12 février, lors de l'aperçu accompagnant ses résultats.
Il y a des éléments qui lui sont favorables. Les dernières vagues de mises à pied devraient lui permettre d'économiser quelques centaines de millions de dollars. La baisse du dollar canadien devrait aussi aider à la rentabilité. À l'inverse, la Russie et le Moyen Orient sont des clients importants dans les avions privés, et avec la dernière chute du prix du pétrole, il n'est pas sûr qu'il rentre autant d'argent que dans les derniers mois de ce côté.
Postulons donc pour la forme une demande de liquidités similaires à celle de 2014 pour 2015, soit 1,5 G$.
De 3,8 G$ de disponibilités financières, Bombardier terminerait donc l'année à 2,3 G$. C'est nettement sous la cible de 3G$ chaque année. Une situation inconfortable.
Les lignes de crédit sont-elles sûres?
Les lignes de crédit sont-elles sûres?
Une question est dans le marché qui vient rendre plus inconfortable encore la situation: les lignes de crédit de 1,4 G$ seront-elles réellement toujours disponibles?
Si jamais elles ne l'étaient pas, toujours en conservant notre hypothèse de "burn rate" de 1,5 G $, on ne se retrouverait plus avec une marge de manœuvre de 2,3 G$ à la fin 2015, mais de 900 M$. Nettement insuffisant pour soutenir les activités dans le contexte où 3G $ est la position dite souhaitable.
Ces lignes sont-elles sûres?
Elles sont assorties de conditions complexes qu'on ne connaît pas mais qui semblent prévoir que Bombardier doit maintenir autour de 1 G$ dans ses coffres.
Il y a actuellement pour 2,4 G$ d'encaisse. En continuant de supposer que la compagnie brûle 1,5 G$ l'an prochain, on arrive en fin d'année à 900 M$ d'encaisse. Sous le seuil requis. Mais on comprend de Bombardier qu'elle est aussi autorisée à utiliser une partie de la ligne de crédit dans le calcul, ce qui vient redonner un espace suffisant.
Sans entrer dans plus de détails (c'est déjà complexe!), disons simplement que les lignes de crédit ne semblent pas en danger.
Dans l'état actuel du marché, et compte tenu que notre "burn rate" de 1,5 G$ est probablement un peu trop élevé avec toutes les mesures de rationalisation annoncées, la situation semble donc inconfortable et effectivement préoccupante, mais pas périlleuse.
Quelle sera la suite?
On devrait voir plus clair le 12 février.
En attendant, le titre devrait rester plombé. Le brouillard est dense et la confiance est disparue.
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