C'est un bon travail qu'ont réalisé la Chambre de commerce de Montréal, les avocats BCF, la firme EY et le groupe de Warren Cromartie pour tenter de ramener une franchise du baseball majeur à Montréal. La probabilité que la chose survienne est cependant comparable à celle qu'un frappeur avec un compte d'aucune balle, deux prises tape un coup de circuit.
L'une des grandes conclusions que l'on tire de l'étude, c'est que même s'il y avait une possibilité d'expansion du baseball majeur, Montréal n'aurait pas un marché suffisamment intéressant pour être considérée.
Le plan d'affaires postule en effet que, pour que le projet fonctionne, la Métropole devrait recevoir environ 20 M$ en partage de revenus des équipes les plus rentables. On voit mal comment la Ligue pourrait décider d'allouer une franchise dans un marché qui générerait des dépenses aux autres équipes plutôt que de leur rapporter des revenus.
Il ne reste donc que l'option du déménagement d'une franchise. C'est-à-dire celle de transporter ici une équipe parce qu'elle coûterait moins cher à opérer que dans la ville où elle se trouve actuellement.
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Aucune question n'a été posée jeudi sur qui décide du transfert d'une équipe, mais il serait étonnant que la Ligue puisse unilatéralement forcer un propriétaire à vendre son club. Or, il semble difficile de trouver des clubs qui, dans l'état actuel des choses, aient vraiment intérêt à transporter leur franchise à Montréal.
Les Rays de Tampa Bay sont dans la nouvelle comme une franchise boiteuse qui cherche à déménager. Le dernier classement de Forbes permet cependant de voir qu'en tenant compte des paiements de soutien, le club a réalisé un bénéfice d'exploitation de 10 M$ US. Si on était propriétaire de la franchise, on ne verrait pas nécessairement de très grande urgence à chercher un nouveau marché. En fait, sur la liste de Forbes, on ne voyait guère que les Marlins de Miami, avec leur perte de 7 M$ US, qui pourraient avoir un intérêt à se délocaliser. Mais comme tous le savent, l'équipe appartient à un certain Jeffrey Loria, qui ne porte pas nécessairement Montréal dans son cœur…
Là où ça peut être intéressant
Postulons cependant que la hauteur de l'aide aille en s'abaissant et qu'à un certain moment, une équipe ou deux se mettent à perdre beaucoup de soutien. Au point où des pertes se présentent. Ou encore que le propriétaire soit quand même prêt à tenter un investissement supplémentaire pour améliorer sa rentabilité.
L'équation devient alors effectivement plus intéressante pour Montréal.
Parce qu'il n'y a pas de franchise à acquérir. On la possède déjà. Qu'elle conserve sa valeur, et peut même augmenter.
Dans le cas de Tampa Bay, notre collègue Marc Gosselin a parlé à l'économiste Andrew Zimbalist, qui souligne que l'équipe est liée par bail jusqu'en 2027. Un propriétaire qui voudrait déménager le club devrait assumer ce bail, une somme évaluée entre 200 et 300 M$. Il lui faudrait de plus ajouter 165 M$ pour sa participation dans la construction du stade.
Ce 365-465 M$ est beaucoup moins cher que le 690 M$ que postule l'étude de faisabilité pour de nouveaux propriétaires, et c'est conséquemment un rendement sur l'investissement à espérer nettement supérieur au 8% que fait miroiter cette même étude. Une quarantaine de millions de bénéfices (c'est en fait une cinquantaine, mais on retranche le bénéfice de 10 M$ de Tampa Bay) sur 365 M$ d'investissements neufs donne plutôt un rendement de près de 15%. C'est aussi mieux que le rendement de 5% que donnent les 10 M$ de bénéfices actuels sur un éventuel loyer que l'on continuerait de payer à Tampa Bay.
Le hic, c'est que lorsqu'on a manqué son coup dans un marché, on est généralement peu disposé à en remettre encore davantage pour tenter sa chance dans un autre marché, surtout si les promesses de ce marché sont incertaines. Montréal a déjà eu un club de baseball, et il est parti. Chat échaudé craint l'eau froide. Sur papier, il y a de l'argent à faire, mais la possibilité que l'on ait sorti de l'argent pour rester sur la même rentabilité, ou encore creuser sa perte davantage, existe. Et le passé n'aide pas à l'effacer le scénario de l'esprit.
C'est pourquoi on n'attacherait pas une très forte probabilité à un déménagement de franchise par des propriétaires actuels.
Et un achat par des propriétaires d'ici, alors?
Et un achat par des propriétaires d'ici alors?
Humm…
On en parlait plus haut. L'investissement demandé est de 690 M$ et laisse espérer un rendement de 8%. C'est très faible.
Pour des projets avec ce genre de risque, les investisseurs demanderont d'ordinaire un rendement de 15-20%. EY (Ernst & Young) explique cependant que les propriétaires de franchise de baseball sont généralement prêts à vivre avec un faible rendement. Soit parce qu'ils sont déjà très riches, soit parce qu'ils sont diffuseurs et souhaitent sécuriser des contenus. Dans ce deuxième cas, l'argent doit se faire dans les activités de diffusion.
En théorie, il serait donc possible que des investisseurs d'ici achètent la franchise. On dit en théorie, les points d'interrogation étant nombreux.
D'abord parce que s'il y a un bail restant comme à Tampa, l'achat grimpe plutôt à 900 M$-1G et que tout le monde s'entendra pour dire que le rendement nécessaire n'y sera plus. Ensuite, parce que, même en l'absence de pénalités de bail, il ne semble pas se trouver beaucoup d'acteurs au Canada qui puissent avoir envie d'un jouet de 690 M$. Du côté des diffuseurs, pendant ce temps (le deuxième type d'acheteurs), Québecor est déjà engagée dans de gros investissements pour obtenir une franchise de la LNH. Déjà l'étude de faisabilité équivaut à dire qu'il n'y a que peu de rendement à espérer pour l'équipe de baseball comme telle. S'il n'est pas clair que Québecor puisse éventuellement faire de l'argent comme diffuseur avec une équipe de hockey, ça l'est encore moins avec le baseball. Le scénario est le même pour Bell. Répétons-le, il faut un rendement important des activités de diffusion pour courir le risque de l'achat de l'équipe, qui n'en offre pas assez.
C'est pourquoi la probabilité d'une acquisition par des joueurs locaux nous apparaît aussi très faibles.
Un autre écueil
Comme si ce n'était pas assez, un autre écueil se trouve sur la route du projet: la participation nécessaire du gouvernement, à qui l'on demande 335 M$ en investissements. Il faut cet argent pour produire les rendements.
Ce n'est pas gagné. L'étude fait valoir que l'argent gouvernemental serait remboursé sur 8 ans, grâce à la TVQ perçue sur les opérations et à différentes autres taxes (hôtelières, suppléments sur le prix des billets, etc.) et à l'impôt sur le salaire des joueurs.
C'est une équation qui reste à valider. La TVQ, si elle n'était pas payée pour un match de baseball, le serait par exemple vraisemblablement pour un autre événement ou une autre dépense.
Il y a un risque important dans notre esprit que le gouvernement alourdisse plutôt ses charges financières, une chose qu'il n'a pas vraiment les moyens de se permettre ces jours-ci.
En conclusion?
Comme on le disait en introduction, c'est un bon travail qui a été réalisé par les promoteurs du projet.
Mais les probabilités ne sont pas si favorables à Montréal, en raison notamment du système de péréquation déjà en place.
Youppie semble devoir rester au Centre Bell.
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