BLOGUE. C'est la saison des grandes questions de gouvernance. Après la curieuse indemnité de départ offerte à Pierre Duhaime de SNC-Lavalin, c'est au tour d'Astral Media d'inviter ses actionnaires à voter en faveur d'une résolution controversée. Faut-il accorder une prime de rendement et de fidélisation de 25 M$ à Ian Greenberg?
L'assemblée annuelle spéciale d'Astral pour approuver sa vente à BCE doit avoir lieu jeudi prochain (le 24 mai).
Notre consoeur Sophie Cousineau (La Presse) a récemment épluché la circulaire d'Astral et amené une chronique fort intéressante, instructive et nuancée sur la situation (L'homme de 101 millions).
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L'actualité ne nous a pas permis de revenir plus tôt sur le sujet, mais voilà, à l'approche de l'assemblée et avec les procurations qui se votent, le moment est venu.
Quelques éléments de gouvernance soulèvent d’importantes interrogations avec cette transaction. Voyons-y.
Premier élément discutable: la prime sur les actions multivotantes
Monsieur Greenberg et sa famille toucheront une prime de 9,7% pour leurs actions multivotantes de catégorie B. Pour une autre catégorie, baptisée "actions spéciales", qui sont elles aussi multivotantes, ils recevront une somme de 50 M$. Ces actions ne sont pas cotées, il est donc difficile d'évaluer la prime.
Lors de l'annonce de la transaction, on avait une première fois dénoncé cette situation.
En conférence de presse, Ian Greenberg avait expliqué que les actions de catégorie B s'étaient historiquement négociées à prime sur les actions ordinaires et qu'il considérait honnête de maintenir cette prime. Il avait notamment cité en exemple l'acquisition de CHUM il y a quelques années. Il aurait aussi pu citer Canam et Magna.
En contre-exemple, on citera l'ex-dirigeant de Laboratoires Aeterna, Eric Dupont, qui, il y a quelques années, avait décidé de convertir ses multivotantes en actions ordinaires, sans prime. Idem pour les frères Chamandy, fondateurs de Gildan.
Le principe en droit des compagnies est le suivant: "une action, un vote". Il fut une époque, révolue aujourd'hui, où les actionnaires acceptaient de déroger au principe et de laisser à des entrepreneurs le contrôle de leur entreprise. C'est à cette époque que naquirent les multivotantes. Voilà cependant aujourd'hui qu'en demandant plus de valeur pour son bloc d'actions, la famille Greenberg ajoute au privilège (plusieurs voix) qui lui avait été consenti. Ce n'était pas le deal initial et ce 13 M$ de plus aurait dû être réparti entre tous. Tout comme, fort probablement, une bonne partie des 50 M$.
L'approche est condamnable, mais, dans le contexte actuel, étant donné l'important flou, on ne peut demander aux actionnaires de voter contre l'offre pour le seul motif de cette prime et risquer de faire avorter la transaction. Ce sera aux autorités réglementaires à venir éventuellement préciser le cadre.
L'élément le plus troublant: la prime de rendement et de fidélisation de 25M$
C'est ici que se joue le plus intéressant de l'affaire.
L'élément le plus troublant: la prime de rendement et de fidélisation de 25M$
C'est ici que se joue le plus intéressant de l'affaire.
La circulaire prévoit une prime de rendement et de fidélisation de 40M$ pour des employés de la haute direction, dont 25 M$ pour monsieur Greenberg. Cette prime vient en outre curieusement s'ajouter à une indemnité de départ de 5,9 M$.
Le montant de 25 M$ octroyé au grand patron fait heureusement l'objet d'une résolution spéciale, qui est soumise à l'approbation des actionnaires, sans que le résultat du vote n'affecte la transaction. La présence de cette résolution donne à penser que tout le monde convient que les 25 M$ sont sujets à controverse.
À juste titre.
D'abord, aucune somme du 25 M$ ne devrait aller pour la fidélisation de monsieur Greenberg, puisque la demande de versement de cette prime n’origine pas de Bell, mais d’Astral.
Il en découle conséquemment que la prime ne peut qu'être consentie que pour le récompenser de la création de valeur qu'il a apportée aux actionnaires.
Il s'agit malheureusement ici d'une importante erreur de sémantique. La récompense pour la création de valeur passe par les programmes de rémunération et les actions détenues. Il est difficile de comprendre pourquoi on accorderait une prime de rendement en surplus.
Il n’est en outre pas clair d’où vient la demande quant à la prime de rendement. Astral soutient qu’elle a été recommandée par le comité spécial composé d’administrateurs indépendants de la société et non demandée par monsieur Greenberg lui-même. Il faut évidemment laisser le bénéfice du doute à l’entreprise, mais avec l’histoire des actions multivotantes relatée plus haut, Astral aurait avantage à mieux expliquer comment les administrateurs en sont venus à la conclusion qu’une prime supplémentaire était nécessaire.
"Ces rémunérations exorbitantes qu’on voit un peu partout commencent à provoquer un phénomène de désapprobation au sein de notre société. Il faut écouter ces bruits qui pourraient se manifester avec plus de force éventuellement et causer des tremblements que personne ne souhaite", disait récemment l'ancien chef syndical Fernand Daoust, à l'assemblée annuelle de Bombardier. Monsieur Daoust milite aujourd'hui au sein du Mouvement d'éducation et de défense des actionnaires (MÉDAC).
Il faut saluer la transparence des administrateurs et de monsieur Greenberg, qui ont le mérite d’exposer la situation et de laisser voter leurs actionnaires sur la prime. La situation reste tout de même de nature à causer des interrogations dans le public.
La Caisse de dépôt, deuxième actionnaire d'Astral avec 4,6% du capital, indique que le dossier est actuellement sous analyse et qu'elle n'a pas encore décidé si elle votera en faveur ou contre l'octroi des 25 M$.
Souhaitons qu'elle vote contre et fasse connaître sa position plus tôt que tard afin d'influencer le vote institutionnel.