BLOGUE. Jusqu'où doit-on permettre à Bell de prendre position dans le paysage télévisuel québécois? Avec l'intention de l'entreprise d'ajouter la chaîne généraliste V au bouquet de stations spécialisées qu'elle est en voie d'acquérir d'Astral, le débat risque d'être intéressant. Et l'on peut se demander si des radiations ne sont pas déjà en route pour BCE.
Radio-Canada rapportait il y a quelques jours que Bell discutait avec la famille Rémillard pour l'acquisition de la chaîne généraliste V.
Si jamais cette acquisition a lieu, ne vous attendez pas à ce que le CRTC l'approuve comme une lettre à la poste. Il ne serait pas étonnant de voir l'organisme forcer la vente de certaines chaînes d'Astral au Québec.
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La politique sur la diversité des voix de l'organisme stipule ceci:
1- Le CRTC n'approuvera pas une transaction qui permettrait à une seule entité de contrôler 45% de tout l'auditoire.
2- Il analysera avec soin les transactions qui permettraient à une seule partie de contrôler de 35 à 40% de l'auditoire.
3-Il approuvera rapidement les transactions qui permettraient à une seule partie de contrôler 35% de l'ensemble de l'auditoire, pourvu qu'il n'y ait aucun sujet qui soit matière à préoccupation.
La situation au Québec?
En acquérant les chaînes d'Astral, Bell obtient environ 25-26% de l'auditoire francophone total du Québec. En combinant le 6% de parts d'écoute de sa station RDS, l'entreprise est donc actuellement en voie de se présenter devant le CRTC avec une demande d'autorisation de transaction sur 32% de l'auditoire total.
La probabilité d'approbation est bonne, sur la base de l'énoncé de politique.
Les parts d'auditoire de V dans le marché franco sont cependant réputées être autour de 8%, ce qui fait que Bell risque à un moment ou à un autre de demander au CRTC de l'autoriser à détenir 40% de l'auditoire.
L'histoire devient tout autre, alors que l'organisme devra cette fois "analyser avec soin" le projet qui lui sera soumis.
Les probabilités de succès
Les probabilités de succès
Un petit débat a cours actuellement à savoir si BCE ne va pas trop vite en affaires avec son projet d'acquisition de V et ne devrait pas aller devant le CRTC pour Astral et revenir après coup pour V.
Peut-être. Mais il n'est pas non plus sûr que BCE ait intérêt à trop attendre avant de se présenter devant le CRTC. D'abord parce qu'il est possible que des concurrents ne dorment pas et tentent dans l'intérim de la coiffer au fil avec le même type d'entente de négociations exclusives qu'elle avait passé avec Astral. Ensuite, parce qu'il vaut peut-être mieux régler tout de suite la question à l'intérieur d'une même audience plutôt que de reporter à plus tard la même discussion.
Cet aparté réglé, la question principale demeure: le CRTC approuverait-il intégralement l'acquisition des stations spécialisées d'Astral et celle de V?
Peu probable. Bien que l'énoncé de politique fasse référence à un plafond de 45%, c'est le 35% de part d'écoute qui devrait être retenu ici. Et, il n'est pas saugrenu de se demander si l'organisme ne pourrait pas être tenté d'aller plus bas encore sur la base qu'il y a matière à préoccupation (comme le prévoit l'exception à une approbation rapide lorsque la part d'audience est de 35% (3e situation)).
L'acquisition d'Astral ne procure en effet pas à Bell uniquement des chaînes de télévision, mais également deux réseaux radiophoniques de forte puissance avec NRJ et Rouge FM. Des réseaux dont les parts d'audience combinées dépassent les 30% chez les 25-54 ans dans les marchés de Québec et Montréal et sont à 85% dans la région Gatineau-Ottawa, 72% à Sherbrooke et 57% à Trois-Rivières.
Avec l'arrivée de V, c'est toute une armada promotionnelle dont on autoriserait la création, capable avec les années d'obtenir une solide influence sur l'avenir culturel du Québec.
Évidemment, on dira que Quebecor a 35% du marché télévisuel et que, même si elle ne détient pas de radios, ses journaux la rendent tout aussi, sinon plus puissante encore. Pourquoi permettre à l'une d'exister comme super puissance et ne pas autoriser l'autre à s'en approcher le plus possible?
Simplement parce qu'il se pourrait bien que l'on soit déjà allé trop loin avec la première en matière d'influence culturelle.
Quoiqu'il en soit, retenons qu'il serait étonnant que le CRTC autorise plus de 35% de parts d'écoute télévisuelle puisque Quebecor est à ce niveau.
Quoi vendre dans ce cas?
Quoi vendre dans ce cas?
À vue d'œil, Super écran avec ses part de 3,5% pourrait être un bon début pour passer de 40% à 35%. Mais c'est aussi pour Bell un bel actif, avec des revenus pratiquement garantis et qui détient un quasi-monopole. En outre, ça semble être la chaîne la plus rentable d'Astral (19,1 M$ de bénéfice avant intérêts, impôt). Après une OPA, on liquide rarement ses vaches à lait.
Il y a aussi Historia (1,5%) et Série + (4,2%). Ce n'est cependant pas évident non plus puisqu'elles sont détenues à 50% par Shaw. D'autant que Série + est fort rentable elle aussi (16,3 M$ de bénéfice).
Canal Vie (3%), Canal D (3,7%) et Z (3%) apparaissent pas mal au cœur des activités et il est douteux que l'on veuille s'en départir.
Musimax n'a pas une grosse part d'écoute (0,6%), ni une très grosse rentabilité (190 000$) mais sur un déploiement multiplateforme, c'est probablement un actif auquel on tient.
Il reste les chaînes Vrak (1,6%) et Télétoon (2,4%). C'est cependant se priver de parler à un créneau de marché intéressant, celui des parents. Un créneau encore ici assez rentable.
Quel que soit le choix, on peut se demander si Bell ne sera pas forcée de prendre une perte sur d'éventuelles ventes. Les chaînes spécialisées n'ont pas de représentant publicitaire unique affecté à chacune et sont souvent vendues par une équipe centralisée. Il arrive parfois qu'il soit plus payant de vendre une société à la pièce, mais dans le cas d'Astral, son système de ventes donne plutôt à penser que chaque pièce vaut davantage dans l'ensemble qu'hors l'ensemble.
Il serait surtout surprenant de voir appliqués à un largage d'actifs des multiples aussi élevés que ceux appliqués lors d'une acquisition stratégique.
C'est pourquoi l'on dit que V amène soudainement dans la cuisine des odeurs de radiations.