ANALYSE DU RISQUE - L'ordre géopolitique qui a prévalu en Europe depuis la chute du mur de Berlin est révolu. Pour la première fois de son histoire, l'OTAN installera de l'armement dans six pays d'Europe centrale et orientale en réponse à l'intervention russe en Ukraine. Préparez-vous à une « guerre fraîche » avec la Russie qui durera des années.
Nous utilisons l'expression « guerre fraîche », car les tensions actuelles entre la Russie et l'Occident ne sont pas une réplique de la guerre froide (1945-1990), qui a opposé les États-Unis, l'ex-URSS et leurs alliés respectifs, comme l'affirment certains analystes.
La guerre froide reposait sur quatre piliers:
-L'existence de deux superpuissances dominant la planète
-La reconnaissance mutuelle du statu quo en Europe
-Une compétition idéologique entre deux modèles (le capitalisme et le communisme)
-Une rivalité à l'échelle mondiale
« Ce temps est révolu, affirme Le Monde. Le différentiel de puissance économique et militaire entre Washington et Moscou est bien supérieur à ce qu’il était à l’époque, et la distribution du pouvoir à l’échelle planétaire est beaucoup plus floue: nous sommes, au choix, dans un monde multipolaire ou apolaire. »
De plus, tous les grands États européens sont insérés dans un réseau de coopérations, et ce, du Conseil de l’Europe au Conseil OTAN-Russie, fait remarquer le quotidien français.
Enfin, la démocratie et l’économie de marché s’imposent à l’échelle du continent.
Le secrétaire général de l'OTAN, Jens Stoltenberg, l'a même souligné: « Nous ne sommes pas dans une situation de guerre froide, mais pas non plus dans un partenariat stratégique avec la Russie. »
Bref, nous sommes quelque part entre les deux.
Un quelque part qui nous a toutefois fait entrer dans une nouvelle ère de tension dans les relations entre l'Occident et la Russie.
La décision de l'OTAN d'installer de l'armement (principalement des chars et des équipements d'artillerie mobile) dans six États membres de l'alliance atlantique (Pologne, Roumanie, Bulgarie, Estonie, Lettonie, Lituanie) en fait la démonstration d'une manière éloquente.
Les trois premiers sont des anciens pays satellites de l'ex-URSS, qui étaient membre de Pacte de Varsovie - le pendant de l'OTAN. Quant aux trois pays baltes (Estonie, Lettonie, Lituanie), ce sont trois anciennes républiques de l'Union soviétique.
Les pays baltes sont devenus indépendants après la disparition de l'Union soviétique, en 1990.
Ils avaient toutefois profité d'une première période d'indépendance, de la fin de la Première Guerre mondiale (les Baltes faisaient partie depuis des siècles de l'Empire russe) à leur annexion par l'URSS en 1940.
Il va sans dire que depuis l'intervention de la Russie en Ukraine, les pays baltes (qui comptent d'importantes minorités russophones) et d'autres pays d'Europe centrale et orientale ont manifesté leurs vives inquiétudes.
Car l'interférence de la Russie ne se limite pas à l'Ukraine. Depuis un an, on ne compte plus les incursions d'avions militaires russes dans l'espace aérien de pays européens, incluant ceux de l'OTAN.
Mais comment en sommes-nous venus à ce niveau de tension? Pour comprendre, il faut retourner environ 25 ans arrière, au tournant des années 1990.
Depuis la chute du mur de Berlin, la réunification allemande et la dissolution de l'URSS, Moscou a grincé des dents chaque fois que les Occidentaux se sont étendus vers l'est, avec l'Union européenne et l'OTAN.
Pourquoi ? Parce que cette stratégie est perçue par Moscou et une part importante des Russes comme une intrusion dans l'ancienne sphère d'influence de la Russie.
C'est par contre le renversement du président ukrainien Viktor Ianoukovitch et de son régime pro-russe, en février 2014, qui a déclenché la crise actuelle en Ukraine et qui a mené à l'imposition de sanctions économiques contre la Russie.
Aux yeux de Moscou, il est clair que l’Occident - surtout les Américains - a comploté pour installer un régime «ami» pro-occidental à Kiev.
Pour Vladimir Poutine, les Européens et les Américains sont clairement allés trop loin en interférant ainsi dans la zone d'influence de Moscou.
C'est pourquoi il a décidé d'intervenir en Ukraine pour défendre les intérêts de la Russie, soulignent plusieurs spécialistes de la Russie.
On l'oublie souvent, mais ce n'était pas une première.
En 2008, le maître du Kremlin avait aussi envoyé des troupes en Géorgie (une ancienne république de l'URSS), qui voulait elle aussi à l'époque se rapprocher des Américains et des Européens - comme l'Ukraine à l'heure actuelle.
C'est pourquoi certains analystes affirment que l'Occident est responsable de la dégradation des relations avec la Russie et du déclenchement de la crise en Ukraine.
C'est le cas de John J. Mearsheimer, professeur de sciences politiques à l'Université de Chicago.
« Les États-Unis et leurs alliés européens partagent la plupart de la responsabilité de cette crise », a-t-il écrit dans Foreign Affairs en août 2014 (Why the Ukraine Crisis Is the West's Fault).
Selon lui, il était évident que la Russie n'allait pas laisser l'Ukraine sortir de son aire d'influence sans réagir. À ses yeux, c'est comme si la Chine essayait d'attirer le Canada dans son aire d'influence ou une alliance.
Les États-Unis ne resteraient pas les bras croisés.
Il va sans dire que des commentateurs ont vertement critiqué la prise de position de John h. Mearsheimer.
Son analyse permet toutefois de mieux comprendre ce qui motive actuellement la Russie à intervenir en Ukraine - sans justifier pour autant ses agissements.
Ainsi, à moins d'une surprise de taille, le président russe ne cédera pas un pouce de territoire en Ukraine.
Car, pour la Russie, il est impensable que ce pays devienne un jour un pays allié proche de l'Occident, et qu'elle adhère à l'OTAN, comme les trois pays baltes, la Pologne, la Bulgarie et la Roumanie.
C'est pourquoi nous entrons dans une longue période de tension entre l'Occident et la Russie, et ce, malgré l'imposition de sanctions qui font très mal à l'économie russe.