ANALYSE DU RISQUE - Le Japon n'a connu que le marasme économique depuis l'éclatement de la bulle boursière et immobilière au début des années 1990. Et le pays du soleil levant s'apprête à connaître encore plusieurs années, voire décennies, extrêmement difficiles, selon la Financière Banque Nationale.
« Nous pensons que la troisième économie du monde restera à la traîne dans l'avenir prévisible, en raison de son lourd endettement, de sa population vieillissante, de sa forte résistance à l'immigration et de ses coûts énergétiques élevés », écrivent dans une analyse Angelo Katsoras, premier associé, et Pierre Fournier, analyste géopolitique, à la FBN.
L'an dernier, l'économie japonaise s'est contractée de 0,1%. Cette année, le PIB se limitera à une croissance de 1%, une croissance qui pourrait atteindre 1,2% en 2016, selon le Fonds monétaire international (FMI).
Bref, la croissance demeure anémique, malgré tous les efforts déployés par le gouvernement pour remettre l'économie sur les rails.
Plusieurs facteurs font en sorte que le Japon est en train de sombrer, dont sa dette publique astronomique.
Actuellement, elle représente 226% du PIB, soit le ratio le plus élevé au monde. Pourtant, le pays ne vit pas une crise de la dette comme la Grèce, qui affiche un ratio inférieur à celui du Japon à 180%.
Pourquoi? Tout simplement parce que le Japon finance la quasi-totalité de sa dette sur le marché intérieur (dont les banques, les caisses de retraite et la banque centrale), ce qui lui permet de réduire ses coûts d'emprunt.
À la fermeture des marchés le 11 juin, le taux sur les obligations d'État du Japon de dix ans s'établissait à 0,52%, comparativement à 1,84% pour celles du Canada.
Les coûts d'emprunt du gouvernement japonais risquent toutefois d'augmenter, font remarquer Angelo Katsoras et Pierre Fournier.
D'une part, parce que la Banque du Japon pourrait diminuer ses rachats d'obligations gouvernementales, ce qui pourrait faire bondir les taux et causer des turbulences sur les marchés.
D'autre part, parce que les retraités - de plus en plus nombreux - pourraient collectivement prélever à long terme plus d'épargne qu'aujourd'hui, ce qui obligerait le Japon à emprunter à l'étranger à des taux plus élevés.
Deux risques réels dans un contexte où la dette japonaise continue d'augmenter. D'ailleurs, si la tendance se maintient, elle pourrait même atteindre 400% du PIB en 2040, selon l'Organisation de coopération et développement économiques (OCDE).
Une véritable bombe à retardement. Mais ce n'est pas la seule bombe qui menace l'économie du pays.
Le vieillissement de la population entraîne aussi des «coûts astronomiques» pour la société japonaise, selon Angelo Katsoras et Pierre Fournier.
Aujourd'hui, 26,4% de la population est âgée de 65 ans et plus (soit la proportion la plus élevée au monde), et ce niveau pourrait atteindre 30,7% en 2030. Aux États-Unis, cette proportion est de 14,7%, et elle devrait s'établir à 20,1% en 2030.
Pourquoi la société japonaise vieillit-elle si vite? Le Japon affiche un faible taux de fécondité de 1,4% (le seuil pour le renouvellement des générations est de 2,1%), et le pays est pratiquement fermé à l'immigration.
Deux facteurs qui auront un impact majeur sur la population du pays. Car, si la tendance se maintient, la population glissera de 127 millions à 87 millions d'habitants d'ici 2060, selon le magazine Time.
Cette saignée démographique étranglera l'économie japonaise, car il y aura moins de travailleurs pour stimuler la croissance économique et moins de contribuables pour financer les services publics.
De plus, l'augmentation du nombre de personnes âgées fera bondir les dépenses publiques liées aux retraites et aux soins de santé.
À la stagnation économique et au vieillissement de la population s'ajoutent aussi les coûts énergétiques qui sont très élevés au Japon.
Actuellement, 90% de l'énergie consommée dans le pays est importée, soit la proportion la plus élevée des pays développés, selon l'Energy Information Administration (EIA).
«Cela explique en grande partie pourquoi les tarifs d'électricité au Japon sont parmi les plus élevés au monde - de deux à trois fois plus élevés qu'aux États-Unis», précisent Angelo Katsoras et Pierre Fournier.
Or, l'accès à des sources d'énergie abordables figure parmi les principaux critères de compétitivité des entreprises manufacturières dans le monde.
Le Japon fait aussi face à un autre problème de taille.
Les grandes entreprises japonaises délocalisent de plus en plus leurs productions à l'extérieur du pays.
Aujourd'hui, le tiers de la production japonaise est délocalisée, alors que c'était un peu plus de 10% dans les années 1980, selon la Japan Bank for International Corporation.
Et selon la FBN, cette tendance devrait se poursuivre, même si certaines entreprises comme Panasonic, Sharp et Nissan rapatrieront une partie de leur production au Japon en raison de la dépréciation du yen et de la hausse des salaires dans les pays émergents.
«Malgré le recul du yen et la montée des coûts à l'étranger, de nombreuses entreprises refusent encore d'investir davantage sur le marché intérieur. Le Japon, avec son économie stagnante et sa population vieillissante, offre peu de perspectives de croissance», notent Angelo Katsoras et Pierre Fournier.
Cette délocalisation des grandes entreprises nippones n'augure rien de bon pour le Japon, car elle prive le pays de précieux investissements pour stimuler sa croissance économique.
Donc, à moins de pouvoir arrêter ou mitiger ces vagues de fond (lourd endettement, population vieillissante, forte résistance à l'immigration, coûts énergétiques élevés, délocalisation de la production), le Japon continuera de sombrer dans un avenir prévisible.