ANALYSE DU RISQUE - Les scientifiques le disent depuis longtemps, mais cette fois, c'est le gouverneur de la Banque d'Angleterre, Mark Carney, qui l'affirme: la lutte aux changements climatiques risque de marginaliser les énergies fossiles. Ce qui pourrait selon lui entraîner des pertes «potentielles énormes» pour les investisseurs exposés à ce secteur.
L'ancien gouverneur de la Banque du Canada a fait cette déclaration lors d'un discours qu'il a prononcé mardi, à Londres, devant un parterre d'assureurs. Un discours qui a créé une onde de choc mondiale dans le secteur de la finance, sans parler des producteurs d'énergies fossiles (charbon, pétrole, gaz naturel).
Décrié par les uns, salué par les autres, l'appel de Mark Carney à une plus grande transparence à propos des risques financiers encourus par ceux qui investissent dans les énergies fossiles n'est pas passé inaperçu.
Irrité, le fondateur de Lambert Energy Advisory, Philip Lambert, s'est demandé comment on pouvait ainsi évoquer la possible marginalisation des énergies fossiles, alors qu'elles représentent aujourd'hui 85% de la production mondiale, que la demande énergétique augmente, et qu'il n'y a pas encore d'alternative suffisante au charbon et au pétrole.
Réaction tout à fait à l'opposé du côté de Stephanie Pfeifer, chef de la direction de l'Institutional Investors Group on Climate change (IIGCC), pour qui Mark Carney a tout à fait raison de soulever cet enjeu fondamental.
Car, selon elle, cela permettra aux investisseurs de faire une meilleure estimation des risques associés aux changements climatiques dans leurs portefeuilles.
Et à ceux qui affirment que ce n'est pas à Mark Carney d'évoquer les risques associés au climat, le Financial Times de Londres répond qu'il n'aurait pas assumé ses responsabilités en ignorant cette réalité.
«N'importe quel assureur qui ignorerait les dangers posés par les changements climatiques ne ferait pas son travail, et un gouverneur de banque central qui ne s'en inquiéterait pas négligerait le sien», écrit dans un éditorial la bible de la finance internationale.
Pourquoi les changements climatiques représentent-ils un risque pour les investisseurs? La logique est simple:
- la Terre se réchauffe graduellement depuis le début de l'ère industrielle
- l'humanité est responsable de ce réchauffement en raison de l'augmentation des émissions de gaz à effet de serre (GES) produites par la combustion des énergies fossiles, affirment la plupart des scientifiques.
- comme les changements climatiques entraînent déjà et entraîneront des coûts socio-économiques majeurs pour les sociétés (inondations, tempêtes, destruction d'infrastructures et d'écosystèmes, etc.) il faut stopper le réchauffement de la planète.
- pour y arriver, il faut brûler moins d'énergies fossiles et utiliser davantage d'énergies renouvelables.
Résultat? Des réserves d'énergies fossiles ne pourront pas à terme être exploitées.
Voici quelques chiffres pour illustrer cette logique implacable.
80% des réserves d'énergies fossiles pourraient demeurer inexploitées
La température moyenne de la Terre a augmenté de 1 degré Celsius depuis le début de l'ère industrielle. Il y a cinq ans, les leaders mondiaux prenant part aux négociations sur les changements climatiques ont convenu que le réchauffement ne devait pas dépasser 2 degrés.
Pourquoi? Car au-delà de ce seuil, les scientifiques craignent une accélération des changements climatiques en raison de la libération du méthane contenu dans le pergélisol, qui recouvre le cinquième de la surface terrestre.
Et on est loin de la théorie. Le pergélisol a déjà commencé à fondre. C'est pourquoi il faut arrêter le réchauffement de la planète le plus vite possible, affirment les spécialistes.
Pour y arriver, seulement 565 gigatonnes de CO2 (ou 565 milliards de tonnes) pourront être émises dans l'atmosphère d'ici 2050, selon le consensus scientifique.
Le hic, c'est que les réserves actuelles d'énergies fossiles des entreprises dans le monde sont équivalentes à l'émission de 2 795 gigatonnes, rapporte le Financial Times.
Par conséquent, si les dirigeants de la planète prennent un jour des mesures sérieuses pour ne pas dépasser le seuil de 2 degrés Celsius, cela signifie que 80% des réserves d'énergies fossiles devront demeurer dans le sol.
Reste à voir si les dirigeants de la planète prendront les mesures qui s'imposent pour limiter le réchauffement de la planète à 2 degrés Celsius d'ici 2050.
Mais si c'est le cas, la transition énergétique vers des énergies vertes ne se fera pas en douceur, disent plusieurs analystes.
Pourquoi? Parce qu'il faudra taxer le carbone de manière substantielle.
Ce qui pourrait marginaliser graduellement les énergies fossiles, devenues dispendieuses et indésirables.
Les investisseurs sont en droit de mieux connaître ce risque financier ou climatique, du moins, selon Mark Carney.