ANALYSE DU RISQUE - L'intervention militaire de la Russie en Syrie pour soutenir le régime de Bachar Al-Assad a pris de court les États-Unis et leurs alliés. Moscou affirme intervenir pour stabiliser la Syrie et le Moyen-Orient. Les Russes peuvent-ils vraiment y arriver?
Chose certaine, l'entrée en jeu de la Russie dans la guerre civile syrienne vient de complexifier un conflit dans lequel plusieurs pays de la région s'y affrontent déjà indirectement par alliés interposés.
Au premier chef, l'Iran chiite, qui soutient le régime alaouite d'Al-Assad (une branche du chiisme) et l'Arabie saoudite sunnite, qui veut sa chute pour le remplacer par un régime sunnite.
Et c'est sans parler de l'État islamique (EI), une organisation sunnite qui contrôle l'est de la Syrie, ennemi juré de l'Iran et de l'Arabie saoudite, que veut aussi abattre la coalition dirigée par les États-Unis - dont fait partie le Canada.
Aussi, la stabilisation de la Syrie est encore bien loin d'être à portée de main à court terme, affirment des analystes.
Une situation qui représente un risque géopolitique majeur pour les investisseurs exposés aux marchés du Moyen-Orient.
Comment sera affectée l'économie régionale? Comment se comporteront les marchés financiers? Les millions de réfugiés syriens répartis dans les pays voisins déstabiliseront-ils des États déjà instables comme le Liban?
Autre question fondamentale: mais que cherche donc à faire Vladimir Poutine en Syrie?
À vrai dire, Moscou a plusieurs objectifs.
- la Russie veut éviter la chute de son indéfectible allié Bachar Al-Assad, ce qui lui permet d'avoir une présence et une influence au Moyen-Orient.
- la Russie veut empêcher une déstabilisation accrue de la région que provoquerait le renversement du régime Al-Assad. Selon Moscou, le renversement de Saddam Hussein en Irak (en 2003) et de Mouammar Kadhafi en Libye (en 2011) montrent que les changements de régime aggravent la situation.
- la Russie affirme vouloir combattre «les terroristes» qui pourraient un jour perpéter des attaques en territoire russe, ce qui inclut l'État islamique et l'opposition au régime Al-Assad.
- la Russie veut montrer qu'elle est une puissance régionale - même si elle n'a plus la force de l'ex-URSS - avec laquelle l'Occident doit composer.
- la Russie veut avancer ses pions au Moyen-Orient au détriment des États-Unis, en montrant aux pays de la région qu'elle est un allié fiable, contrairement à Washington, dont l'ambivalence et le manque de leadership inquiètent.
Il va sans dire que l'intervention russe crée des tensions avec les États-Unis, le Canada, les pays européens, la Turquie (un pays membre de l'OTAN, qui souhaite aussi la chute du régime syrien), sans parler des pays arabes sunnites.
Voici pourquoi.
La Russie met de l'huile sur le feu
D'une part, parce qu'en bombardant les positions des opposants au régime syrien, Moscou s'en prend aux alliés des Occidentaux pressentis pour prendre le pouvoir après l'éventuel départ de Bachar Al-Assad.
D'autre part, parce qu'en défendant le régime alaouite à Damas, la Russie devient de facto l'allié des puissances chiites au Moyen-Orient (Iran, Irak et Hezbollah libanais) et un adversaire des pays sunnites (Turquie, Arabie saoudite, pays du Golfe persique).
Selon certains observateurs, l'intervention de la Russie accroît aussi le risque d'un affrontement direct entre l'armée américaine et l'armée russe.
Qu'arriverait-il si un avion russe abattait par erreur un avion américain en Syrie ou si un bombardement américain tuait involontairement des soldats russes en train d'aider les troupes du régime syrien?
Officiellement, Moscou et Washington ne s'affrontent pas en Syrie.
Mais leur intervention dans ce pays pourrait provoquer involontairement une crise majeure, voire une escalade militaire qu'il pourrait être difficile de stopper par la suite, disent des spécialistes.
Chose certaine, l'intervention militaire de la Russie dans la guerre civile syrienne vient de changer la donne. Par exemple, une solution au conflit n'est plus possible sans que Moscou n'impose en partie ses conditions.
La Russie sauvera-t-elle Bachar Al-Assad, dont les Occidentaux réclament le départ en raison des crimes commis contre le peuple syrien?
D'autres questions se posent.
L'État islamique sera-t-il vaincu? Plus d'un an après le début des bombardements de la coalition dirigée par les États-Unis, l'EI occupe toujours une bonne partie de la Syrie - et du nord de l'Irak.
L'État islamique peut-il conquérir l'ensemble de la Syrie? Ce n'est pas impossible, mais peu probable, car tous les pays de la région - sans parler des Occidentaux et des Russes - veulent l'anéantir.
Assisterons-nous à une partition de la Syrie? C'est un scénario possible compte tenu de la résilience de l'État islamique. Ne pouvant l'éliminer, ses opposants pourraient se contenter de le confiner dans l'est de la Syrie.
Chose certaine, la Syrie demeurera un champ de bataille à court terme.
Reste à savoir si l'intervention de la Russie contribuera à apporter une solution politique à ce conflit qui a fait plus 250 000 morts depuis 2011 ou si elle ne fera au contraire qu'envenimer la situation.