ANALYSE GÉOPOLITIQUE – Depuis la récession de 2008-2009, le populisme est en progression. Ce phénomène n’est pas le fruit du hasard. C’est le résultat de politiques et d’idéologies qui ont été consciemment et inconsciemment imposées et martelées par les élites au fil des ans, créant un terreau fertile pour le populisme : l’effritement de la classe moyenne en Occident.
C’est du moins la thèse du géographe Christophe Guilluy dans son récent essai No Society : la fin de la classe moyenne en Occident. Un livre qui donne des outils pour mieux comprendre la montée du populisme, qui inquiète la classe politique et les milieux économiques.
Ainsi, à ses yeux, le phénomène du populisme de gauche ou de droite est un retour du balancier face à l’attitude du «monde d’en haut» -les élites politiques, économiques, culturelles et médiatiques- qui aurait abandonné les classes moyennes depuis le début des années 1980.
Une décennie qui a vu monter le néolibéralisme et tomber le communisme en Europe.
Bref, le populisme serait en quelque sorte une réaction aux excès du capitalisme en ce début du 21e siècle comme le communisme (en tant que mouvement organisé) l’a été par rapport aux excès du capitalisme à la fin du 19e siècle et au début du 20e siècle.
Selon Christophe Guilluy, plusieurs facteurs ont affaibli la classe moyenne et favorisé la montée du populisme :
- Le déclin de l’État-providence et des programmes sociaux à compter de la fin des années 1980 et du début des années 1990, qui a contribué à faire augmenter les inégalités qui avaient diminué après la Seconde Guerre mondiale.
- La mondialisation amorcée dans les années 1970, mais qui s’est accélérée après la chute du communisme. Cela a libéralisé le commerce international et mis en concurrence les pays occidentaux avec les économies émergentes comme la Chine, provoquant la disparition de millions d’emplois manufacturiers en Occident.
- La promotion du multiculturalisme et, plus récemment, les flux de migrants en Europe, qui ont tous deux créé une inquiétude en ce qui a trait à la préservation de valeurs occidentales telles que l’égalité homme-femme.
- Le déclin de la notion du bien commun chez une partie des élites et le rejet, voire le mépris, des classes populaires de la part des élites progressistes, qui ne se préoccupent plus des conditions des ouvriers et qui n’ont d’yeux que pour les minorités.
- La création graduelle d’un clivage géographique dans les pays occidentaux, où les «gagnants» de la mondialisation ont tendance à habiter dans les grandes villes et où les «perdants» ont tendance à vivre dans les régions créant moins d’emplois.
Une insécurité économique et culturelle
Christophe Guilluy affirme que ces facteurs ont contribué à créer deux sentiments auprès du «monde d’en bas», soit une grande insécurité économique et une insécurité culturelle.
À cela s’ajoute aussi un clivage inquiétant dans les sociétés occidentales entre les élites et le peuple, déplore le géographe.
«Jamais une classe médiatique, politique et universitaire n’a autant dénigré, ostracisé, insulté son propre peuple duquel elle se retrouve isolée. Isolée également du reste du monde qui ne supporte plus non plus ses leçons de morale.»
C’est dans ce contexte que l’on comprend un peu mieux l’élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis, qui a su canaliser la colère et l’inquiétude des classes populaires contrairement aux démocrates.
Ce ne sont pas les seuls bouleversements politiques dans les démocraties occidentales.
En 2017, au second tour de l’élection présidentielle, le centriste Emmanuel Macron a affronté la leader de l’extrême droite Marine Le Pen. Et, pour la première fois depuis la fondation de la 5e République en 1958, ni la droite ni la gauche modérée n’étaient présentes au second tour.
En Allemagne, les socio-démocrates et les conservateurs, qui dirigent le pays depuis la fondation de l’ex-RFA depuis 1949, sont en déclin au profit de partis d’extrême droite (Alternative pour l’Allemagne ou AfD) et d’extrême gauche (Die Linke ou «la gauche», en français).
En Autriche et en Italie, l’extrême droite est arrivée au pouvoir par le truchement de coalitions, sans parler de la présence de gouvernements «illibéraux» en Hongrie et en Pologne, qui contestent les droits des minorités, la liberté d’expression et l’indépendance des tribunaux.
Christophe Guilly ne fait pas que poser un diagnostic -avec lequel on peut être d’accord ou non- dans son essai.
Il propose des pistes de solutions qui sont relativement simples : les élites et le peuple doivent réapprendre à vivre ensemble, à se doter d’un projet de société rassembleur, tout faisant la promotion du bien commun.
Mais, selon lui, c’est essentiellement au monde d’en haut à faire les efforts, car c’est lui qui après tout a délaissé, voire abandonné, le monde d’en bas et les classes populaires.
Christophe Guilly affirme même qu’il faut aider les classes dirigeantes.
«Aider les élites américaines à comprendre que les ouvriers ne sont pas tous déplorables, aider les élites françaises à saisir que les classes populaires ne sont pas de méprisables «sans-dents», aider les riches, le monde des médias, les universitaires à retrouver le chemin de la paix avec les plus modestes.»
Selon lui, cela implique de renouer avec des politiques publiques qui répondent davantage aux préoccupations du peuple, telles qu’une certaine forme de protectionnisme économique, le renforcement des programmes sociaux et un certain contrôle des flux migratoires.
Christophe Guilly est conscient que ces politiques vont à l’encontre de l’idéologie dominante.
Mais selon lui, les élites n’ont guère le choix, si elles veulent du reste ramener la paix et la cohésion sociale.