Les stratèges sont revenus plutôt sereins de la pause estivale, la plupart réitérant pourquoi la Bourse américaine peut encore s’apprécier, après avoir presque triplé depuis 2009 et avoir cumulé 33 records depuis le début de l’année.
Stéfane Marion, de la Financière Banque Nationale, rappelle que la phase de croissance du cycle économique actuel ne s’est amorcée qu’en septembre 2013.
« On ne peut pas dire que la Bourse a devancé les événements. Le ralentissement habituellement observé à mi-chemin du cycle de croissance économique survient plusieurs trimestres après la première hausse des taux par la Fed. Or, la Fed ne bougera pas avant juin 2015 au plus tôt », écrit-il.
Retour sur 1996
Tony Dwyer, le stratège américain de Canaccord Genuity, croit que 2014 sera à l’image de 1996, et terminera avec un bon gain, malgré une économie mondiale au ralenti et des risques géopolitiques.
Les parallèles avec 1995 et 1996 sont frappants.
En 1995, le S&P 500 avait aussi bondi de 34 %. À la mi-1996, l’indice américain phare avait aussi atteint de nouveaux sommets (après un gain de 5,8 %), malgré la modération de l’économie mondiale, des craintes d’une hausse des taux et l’effet appréhendé d’une hausse du dollar américain sur les bénéfices des multinationales américaines.
En 1996, Hezbollah et Israel s’échangeaient des missiles. La Russie combattait les rebelles tchétchènes. Oussama ben Laden proclamait une guerre sainte contre l’Amérique.
M. Dwyer rappelle que malgré tout le S&P 500 a terminé l’année 1996 avec un gain de 20,3 %.
Cette année, le S&P 500 a gagné 8,3 %, en plus du gain de 30 % engrangé en 2013.
« En 1996, l’évaluation des actions américaines a continué à augmenter parce que ces actions et le dollar américains constituaient alors la meilleure option de placement pour les investisseurs », évoque M. Dwyer.
Le stratège vient d'augmenter de 2185 à 2230 son cours-cible pour le S&P 500, d'ici la fin de 2014, pour un gain d'encore 10,5 %, même si un recul cet automne est probable, après un mois d’août fort.
Il hausse ses prévisions de bénéfices et fait passer son multiple d"évaluation de 17 à 9 fois les bénéfices prévus à la fin de 2014.
Les faits justifient la hausse
Les faits justifient la hausse
Au lieu de craindre l’inconnu, les investisseurs devraient plutôt limiter leur analyse aux faits, soutient M. Dwyer.
Il est difficile d'imaginer selon lui que la Fed serra vigoureusement la vis des taux au moment où la majorité de la planète combat la désinflation.
L’aplatissement actuel de la courbe des taux n’est pas néfaste puisqu’elle provient surtout d’un recul des taux à long terme et non d’une hausse des taux à court terme. L’écart entre les taux à court et à long terme favorise encore une reprise des prêts, dit-il.
Aussi, la demande pour les obligations de sociétés reste forte, ce qui fournit du financement à bas coût aux entreprises.
Les dernières données économiques, incluant le sommet de 10 ans des nouvelles commandes manufacturières et la création de 142 800 emplois en août, pointent vers le prolongement d’une croissance modérée de l’économie.
L’évaluation des actions, dans l’ensemble, est encore raisonnable. Lorsque l’inflation se situe entre 1 et 3 %, le S&P 500 s’échange en moyenne à un multiple de 19 fois des bénéfices des 12 derniers mois. Ce multiple est actuellement de 18 fois.
Le "dividende" de Draghi à la rescousse
Quant à Pierre Lapointe, stratège mondial, de Pavilion Corp., il fait valoir que le « dividende » de Mario Draghi, le président de la Banque centrale européenne (BCE), est de bon augure pour la Bourse américaine.
Même s’il provient de l’avortement de la reprise européenne, le rachat de titres et la baisse des taux instaurés par M. Draghi auront un effet bénéfique qui traversera l’Atlantique.
La baisse des taux en Europe agira en effet comme un plafond sur les taux américains, et aidera les gouvernements, les entreprises et les consommateurs à terminer leur processus de désendettement, dit-il.
Les banques, les assureurs et les caisses de retraite, qui vendront leurs obligations souveraines à la BCE, devront réinvestir le produit.
Or, avec des taux de 10 ans de 2,4 % en Italie et de moins de 1 % en Allemagne, certains d’entre eux se tourneront vers les obligations américaines, pour leur meilleur rapport risque-rendement, ce qui maintiendra aussi les taux bas, aux Etats-Unis.
« Le dividende de Draghi fait en sorte que les taux américains sont presque aussi faibles qu’en 2011, tandis que son économie est plus forte qu’il y a trois ans. C’est un autre facteur structurellement positif pour l’économie américaine », dit-il.
Des signes de sommets
Des signes de sommets
Ces arguments tiennent la route. N’empêche que la Bourse américaine montre aussi des signes généralement associés aux sommets boursiers.
Le fabricant des populaires caméras individuelles GoPro, qui ambitionne de devenir une entreprise média avec son contenu de sports extrême, a explosé de 185 % depuis son entrée en Bourse... en juin dernier.
Le géant chinois du commerce électronique Alibaba entre en Bourse, dans une émission record de 21,1 G$ US, qui lui donnerait une valeur de 163 G$ US, soit de 17 fois ses revenus.
Les fusions et les acquisitions mondiales ont explosé de 59 % à 2 400 milliards de dollars américains, depuis un an, rapporte Thompson Reuters.
Autre source d’agacement : le récent penchant de nombreux analystes à hausser leurs cours-cibles pour rattraper l’évaluation déjà généreuse accordée à leur secteur d’analyse, ou à se projeter jusqu’en 2017 ou à long terme pour les justifier.
Au début de juillet, même Janet Yellen, la présidente de la Réserve fédérale américaine, est même sortie de son carcan habituel pour citer l’évaluation « étirée » des titres des médias sociaux et de biotechnologie, au début de juillet, dans un rare commentaire boursier pour l’économiste.
Les propos de Mme Yellen ont aussitôt été réfutés par une série d’observateurs énumérant les différences entre la frénésie de 2000 et les revenus et les bénéfices des coqueluches boursières d’aujourd’hui.
Les grands argentiers des banques centrales ne font pas nécessairement de bons stratèges, mais on peut tout de même comprendre qu’ils cherchent à protéger les investisseurs contre leur propre appât du gain, lorsqu’ils s’avancent à commenter la Bourse.
Les commentaires de Mme Yellen ne sont pas sans rappeler ceux d’Alan Greenspan, en 1996 concernant « l’exubérance irrationnelle » des investisseurs. La bulle aura finalement crevé quatre ans plus tard.