L’opinion de Hanif Mamdani a du poids, car il est considéré comme l’un des meilleurs gestionnaires d’obligations de sociétés, un placement populaire pour suppléer au maigre rendement que procurent les traditionnelles obligations des gouvernements.
Comment se comporte cette classe d’actif dans la tourmente mondiale des obligations, provoquée par la hausse rapide des taux, cette année?
Les obligations à haut rendement (high-yield ou junk bonds) émises par les sociétés jouent assez bien le rôle que l’on attendait d’elles, lors d’une remontée des taux, répond en entrevue le chef des placements en obligations de sociétés et des placements alternatifs, chez RBC Gestion globale d’actifs.
«Les obligations de sociétés cotées BBB et moins ont donné un rendement de 3% depuis le début de l’année parce que le rendement que procure leur coupon d’intérêt est encore plus élevé que celui des obligations traditionnelles», dit le gestionnaire de Vancouver.
Et ce n'est pas rien. Les obligations des gouvernements ont perdu 2,9% depuis le 31 mars, leur pire performance trimestre en 30 ans, selon l'indice Bank of America Merrill Lynch Global Government Bond.
Les obligations à haut rendement procurent actuellement un rendement de 5% supérieur en moyenne à celui des obligations du gouvernement. Ce rendement soutient leur valeur marchande par rapport à d’autres titres à revenu fixe.
«Ce rendement additionnel de 5% offre un coussin de protection encore raisonnable contre une hausse des taux, dans un environnement de croissance économique modérée. Un écart de 8% est fantastique et un écart de 3% n’est pas assez», dit le gestionnaire de 5 milliards d’actif.
Les obligations de sociétés à haut rendement ont aussi une durée plus courte que les obligations traditionnelles et que les obligations de sociétés de première qualité. Cela les rend aussi moins sensibles aux fluctuations des taux.
Exprimée en années, la durée reflète la valeur actualisée de tous les versements d’intérêt et du remboursement de capital, à l’échéance.
«Une obligation avec un coupon de 6% perdra moins de valeur qu’une autre qui verse des intérêts de 2%, quand les taux augmentent», donne en exemple le gestionnaire.
On approche des dernières manches
« Les investisseurs ne devraient s’attendre à plus d'un rendement annuel total de 5 à 8%, sur deux ans »
Ceci dit, nous sommes probablement dans la dernière phase du cycle d’appréciation de ces obligations. «Le cycle économique est si étiré depuis la crise qu’il est difficile d’établir si on est dans les toutes dernières manches ou non», évoque le portefeuilliste.
Le titulaire d’une maîtrise de l’Université Harvard et d’un baccalauréat du California Institute of Technologue (Caltech), estime que les investisseurs ne devraient s’attendre à plus d'un rendement annuel total de 5 à 8%, sur deux ans.
Cela se compare au rendement annuel moyen de 8 à 10%, depuis 10 à 15 ans.
Il faut aussi accepter plus de volatilité comme celle vécue en octobre 2014 lorsque les taux américains de 10 ans ont bondi de 0,35% en 30 minutes. «Les marchés sont moins liquides qu’avant parce que les banques transigent moins pour leur compte. Aussi, les fonds négociés en Bourse, les fonds quantitatifs et les algorithmes accentuent les fluctuations, mais les investisseurs devraient ignorer ces mouvements à court terme», conseille l’expert.
Des liquidités pour sauter sur des occasions et parer aux imprévus
Des liquidités pour sauter sur des occasions et parer aux imprévus
Pour naviguer des eaux moins calmes, M. Mamdani gère avec encore plus de prudence et d’opportunisme que de coutume.
Le Fonds PH&N obligations à haut rendement s’est constituée une encaisse de 10%, soit de deux à trois fois la proportion habituelle.
«Ces liquidités peuvent à la fois servir à des rachats de parts de la part des investisseurs ou encore à l’achat d’obligations de sociétés mal évaluées», confie M. Mamdani.
Le gestionnaire privilégie les obligations de meilleure qualité et d’une échéance plus courte depuis un bon moment déjà, mais il aime aussi saisir les occasions que la volatilité fait surgir.
L’automne dernier par exemple, PH&N a rouvert pour quelques semaines son fonds d’obligations à rendement élevé aux nouvelles souscriptions pour la première fois depuis 2010. «Nous avons alors vu une occasion stratégique d’augmenter nos liquidités et une autre occasion tactique de cueillir des aubaines dans le secteur de l’énergie», explique M. Mamdani.
Les 500M$ récoltés ont servi à acheter des obligations du secteur de l’énergie malmenées pendant la chute du prix du pétrole, tels que Baytex Energy, Trilogy Energy, Precision Drilling ou Western Energy Services, en novembre, décembre et janvier.
Leurs obligations procuraient alors des rendements de 9 à 11%.
M. Mamdani a aussi profité des turbulences pour réduire davantage ses placements dans le secteur-refuge des télécommunications.
«Nous déploierons l’encaisse si d’autres occasions se présentent, en fonction de notre lecture de la conjoncture», dit-il.
Tant que l’économie tient bon et qu’elle donne aux sociétés la capacité financière de servir leurs dettes, M. Mamdani serait tenté de réinvestir son encaisse si l’écart entre le rendement des obligations de sociétés à haut rendement et celui ses obligations traditionnels augmentait de 2%.
«Pour mettre les choses en perspective, dans une récession, il n’est pas rare de voir les obligations de sociétés procurer un rendement de 10% supérieur à celui des obligations des gouvernements, parce que le recul des bénéfices augmente les craintes que les entreprises ne puissent plus s’acquitter de leurs obligations financières», indique-t-il.
Actuellement, le taux de défaillance des obligations de sociétés est de 2%, par rapport à une moyenne de 4 à 5% à long terme.
En général, le gestionnaire évite les transporteurs aériens, les détaillants, les producteurs de ressources ou de produits chimiques. «Ces industries sont sujettes à des accidents et à des défaillances plus fréquents».
Pas de bulle dans les actions
Pas de bulle dans les actions
M. Mamdani se prononce aussi sur les actions, un marché qu’il suit en tant que gestionnaire des deux fonds de couverture PH&N à rendement absolu et Multistratégie alpha RBC.
Même s’il voit des poches d’excès, en technologie et en biotechnologie notamment, la Bourse est loin d’une bulle, contrairement à ce qu’avancent bien des commentateurs traumatisés par celles de 2000 et de 2007.
«Les actions ne sont ni trop chères, ni des aubaines, en fonction de l’inflation, des taux et de l’économie. Ceux qui s’inquiètent de la remontée des taux devraient se remémorer l’épisode de 2013, pendant lequel les actions ont bien surnagé», rappelle-t-il.
À son avis, les vraies bulles se trouvent plutôt dans d’autres marchés en ébullition, tels que les condos à New York, à Londres ou à Hong Kong ou encore dans le marché des collections d’art.