À un moment où les bonzes de la finance dévoilent à coups d’affirmations et de graphiques leurs prédictions pour l’an prochain et l’avenir, il est rafraîchissant qu’un banquier émette des doutes.
Il faut dire qu'Ed Clark, le président sortant de la Banque Toronto-Dominion, est réputé pour sa franchise informelle dans l’industrie politiquement correcte des banques. Il prendra sa retraite en novembre 2014.
Il y a un an, M. Clark avait notamment prévenu que la croissance des revenus des banques s’apprêtait à ralentir.
Dans des entrevues accordées aux quotidiens torontois, M. Clark s’est dit « plus incertain maintenant envers la santé économique mondiale qu’il y a même un an. Les signaux sont contradictoires », a-t-il confié à Tim Kiladze, du Globe & Mail.
L’accélération économique de notre voisin américain est « incroyablement positive », mais tant d’autres pays en arrachent, a-t-il souligné.
Le fonctionnaire devenu banquier espère que l’élan américain sera suffisant pour tirer l’économie mondiale avec elle vers le haut comme avant, mais il est loin d’être sûr qu’elle a encore ce pouvoir.
Les craintes tombent une à une
Les craintes tombent une à une
Cette prudence tranche avec le ton triomphant de nombre de stratèges en cette fin d’année.
L’économiste Ed Yardeni fait une liste de soucis qui disparaissent un à un que ça soit l’entente budgétaire américaine, le consensus que l’économie va assez bien pour que la Fed réduise ses rachats d'actifs pendant que la faible inflation justifie le maintient de faibles taux, jusqu’à l’entente nucléaire avec l’Iran.
À cette liste, Michael Harnett, le stratège en chef de Bank of America Merrill Lynch, ajoute la hausse de l’indice mondial précurseur de l’activité manufacturière au meilleur niveau depuis 2011, la récente entente de l’Organisation du commerce mondial, l’entrée en vigueur des nouvelles règles Volcker moins contraignantes que prévues pour les banques, la fin des pires mesures d’austérité fiscale de plusieurs pays, tout comme l’assouplissement des restrictions que s’imposent les banques avant de prêter.
M. Yardeni termine son bulletin en disant que son principal souci est justement une montée trop rapide des actions provoquée par une ruée d’investisseurs craignant de manquer la marée montante.
« Un « melt-up » se prend bien quand il passe, mais les lendemains sont rarement heureux », répète-t-il.
Trop d’encaisse et pas assez d’endettement pour éclater les bulles
Trop d’encaisse et pas assez d’endettement pour éclater les bulles
M. Harnett s’attend aussi à ce que les investisseurs achètent dans tout repli temporaire que provoquerait la fin des rachats d’obligations et de titres hypothécaires par la Réserve fédérale américaine, en janvier ou en mars.
Les excès que suscitent le prolongement de taux anémiques se retrouvent surtout dans les actifs qui ont une valeur de trophée, dit-il, tels qu’un appartement récemment acheté à Londres au prix de 10 500 $ US le pied carré.
Le stratège reconnaît que « plus longtemps il faudra des liquidités pour raviver les économies sur le terrain, plus les risques croîtront que la spéculation s’empare de divers actifs », écrit-il.
Pour l’instant, le niveau d’encaisse est encore trop élevé et le levier encore trop faible pour craindre que l’éclatement de bulles locales se transforme en une nouvelle crise systémique.
Les entreprises mondiales non-financières cumulent des liquidités de 4 500 milliards, plus qu’en 2008. Quelque 2 700 milliards dorment encore dans les fonds monétaires des Américains, précise M. Harnett.
L’usage de l’emprunt pour investir dans les segments les plus à la mode du marché augmente rapidement depuis 12 mois. Par contre, les données concernant les hypothèques montrent que l’usage de l’endettement des ménages américains a rarement été aussi raisonnable.