La baisse rapide du cours du cuivre à un plancher de 44 mois sème l’émoi parmi les négociateurs, mais elle n’est pas un signe que l’économie mondiale vacille à nouveau.
Le cours du cuivre est tombé sous 3 $ US la livre pour la première fois en quatre ans, le 6 mars, pour ensuite toucher de nouveau bas le 12 mars (2,90 $ US la livre), à New York,
Baptisé Docteur Cuivre pour son rôle de baromètre de la santé de l’économie mondiale, le métal rouge a chuté de 9,4 % entre le 6 et le 12 mars l, entraînant dans son sillage les Bourses mondiales, d’autres matières premières telles que le minerai de fer, ainsi que les monnaies de l’Australie, du Chili, d’Afrique du Sud et du Canada.
Les objectifs de croissance plus modérée du gouvernement chinois (7,5 %), pendant que les tensions entre la Russie, l’Ukraine et les pays du G7 perdurent, rendent les investisseurs plus nerveux que de coutume.
Martin Roberge, stratège quantitatif de Canaccord Genuity, ne croit pas que la Chine, qui consomme 40 % du cuivre mondial, cherche délibérément à ralentir son économie pour qu’elle dépende moins des investissements et des exportations et plus de la consommation et des services.
« Ce serait suicidaire pour la Chine d’agir ainsi pendant que les marchés émergents, les principaux acheteurs de ses exportations, sont en pleine période d’austérité fiscale et monétaire », explique M. Roberge.
L’économie mondiale repose sur trois blocs, les pays du G7, la Chine et les autres marchés émergents. La Chine est bien consciente que deux de ces trois piliers doivent croître pour que l’économie mondiale se porte bien.
« Nos données sur les tarifs de transport maritime et par train et celles sur la consommation d’électricité ne prédisent pas non plus une détérioration imminente de l’économie chinoise », ajoute M. Roberge.
Même son de cloche du côté du président Andrew Michelmore du producteur minier chinois en Australie MMG. Il assure que l’équilibre entre l’offre et la demande pour le cuivre est sain, grâce aux besoins constants de l’électrification de la Chine, dans une entrevue accordée au journal The Australian.
Mâter les spéculateurs
Mâter les spéculateurs
Pourquoi le cuivre chute-t-il alors ? Parce que la Chine tente de mettre un frein à la spéculation et aux stratagèmes d’emprunts du système alternatif de prêts non bancaires (shadow-banking).
« Les autorités l’ont démontré en resserrant d'abord les critères de prêts aux promoteurs immobiliers et plus récemment en laissant des fiducies d’investissement adossées à des actifs physiques faire banqueroute », rappelle M. Roberge.
Dans ce système, les emprunteurs donnent des métaux, dont le cuivre, à titre de collatéral, pour obtenir des prêts non bancaires.
Le charbon servait aussi de collatéral à une fiducie d’investissement à rendement élevé qui a récemment fait défaillance en Chine.
Une bonne part du cuivre entreposé à Shanghai servirait à des transactions financières. Des importateurs achètent notamment du cuivre pour emprunter à bon compte et ensuite réinvestir le capital dans des placements plus rentables ailleurs dans le monde.
Un stratagème peut prendre la forme suivante, explique la firme de négociation Pavillon Corp : un importateur de cuivre achète du cuivre à l'aide d'une lettre de crédit. Ensuite, il réinvestit le produit de la vente de ce cuivre dans un produit à rendement élevé, récoltant la différence entre le rendement du produit de placement et le coût de l'emprunt.
" C'est ce qui explique que les importations et les inventaires de métaux en Chine restent élevés malgré la décélération marquée de 30 à 18 % du taux de croissance des investissements en immobilisations fixes, au cours des dernières années ", précise Pierre Lapointe, stratège de Pavilion.
Le démantèlement de ces stratagèmes risque de peser encore longtemps sur les cours des métaux et les devises des producteurs, prévient M. Lapointe.
M. Roberge est moins pessimiste que son collègue, même s'il reconnaît que « les craintes d’autres défaillances pourraient avoir un effet boule de neige, en forçant les emprunteurs à vendre leur cuivre pour payer leurs factures et pour rembourser leur prêteur, entraînant ainsi d’autres reculs du cuivre et ainsi de suite. Les banques pourraient aussi refuser le cuivre en tant que collatéral ».
M. Roberge ne sait pas jusqu’où le cuivre peut baisser, mais le métal rouge semble déjà trouver un point d’appui autour de 2,96 $ US la livre à Londres. Ce cours attire notamment de nouveaux acheteurs.
Et si le cours du cuivre baissait davantage, les producteurs aux coûts les plus élevés devront réduire leur production pour protéger leur rentabilité, dit aussi M. Roberge.
L'économiste et stratège américain Ed Yardeni, se montre aussi peu inquiet, bien que la chute du cuivre risque de prolonger la mauvaise performance des Bourses chinoises et des marchés émergents en raison de la corrélation entre ces marchés.
La bonne tenue de l'indice élargi de 12 denrées CRB, et l'indicateur avancé de l'OCDE (à son plus haut niveau depuis mars 2011) le rassurent concernant l'économie mondiale.
Les producteurs sous la loupe
Les producteurs sous la loupe
Le géant Vale S.A. (NY, VALE) est un bon baromètre de la psychologie des investisseurs envers les métaux. Son titre aussi l’un des moins chèrement évalués de son industrie, se négociant sous sa valeur comptable, note M. Roberge. Son cours équivaut à sulement 37 % de celui qu'il avait en janvier 2011.
Pour sa part, Société Générale recommande le géant Rio Tinto (NY, RIO), qui souffre lui de la chute du minerai de fer, parce que son titre s’échange à un multiple modeste de 9,4 fois les bénéfices prévus en 2015.
Parmi les grands producteurs, BMO Marchés des capitaux préfère Rio Tinto parce que la société réduit ses dépenses en capital, ce qui améliore les perspectives de ses flux de trésorerie
Puisqu’il ne croit pas que le ralentissement chinois provoque le recul du cuivre ni que la Chine veuille ralentir délibérément son économie, le stratège continue de prévoir un rebond du cuivre et de ses producteurs plus tard en 2014.
Le président chinois, Li Keqiang. a prévenu le 13 mars que son économie affrontait de "sérieux" défis en 2014. Les observateurs croient que le gouvernement pourrait tolérer que son économie rate sa cible de 7,5 % si elle crée les 10 millions d'emplois prévus en 2014.
Autrement, les autorités abaisseront de nouveau les réserves que les banques doivent mettre de côté pour raviver l'économie. Wei Yao, économiste chinois pour Société Générale, prévoit déjà une baisse de 0,50 % du ratio de réserves, le plus depuis 2012, au deuxième trimestre.
Goldman Sachs s'attend aussi à des mesures relance ciblées du gouvernement.
À la vue du recul du cuivre, Scotia Capital s’est rapidement penché sur les 12 producteurs de métaux qu’elle suit pour conclure qu’ils sont encore rentables au cours actuel du cuivre.
Seulement trois d’entre eux ont des coûts de production totaux supérieurs à 2,50 $ US la livre, soit Mercator Mineral (Tor., ML), Copper Mountain (Tor., CUM), et Taseko Mines (Tor., TKO).
L’analyste juge que Lundin Mining (To., LUN), Nevsun Resources (Tor., NSU) et Southern Copper (NY, SCCO) offrent le meilleur équilibre entre leurs coûts raisonnables et une évaluation attrayante.