BLOGUE. Réponse : Ils n’attendent pas que Verizon se décide avant de bouger.
BCE, Telus et Rogers posent en effet un problème épineux pour les gestionnaires qui gèrent vos caisses de retraite et vos fonds communs. Tous ou presque possèdent ces blue chips, soit pour ne pas trop dévier du S&P/TSX ou encore pour leurs dividendes.
Or, comment les gestionnaires composent-ils avec l’incertitude qui pèse sur ces placements depuis que l’Américaine Verizon a manifesté en juin un intérêt pour entrer au pays et depuis qu’Ottawa durcit sa volonté de voir un quatrième fournisseur solide leur faire concurrence ?
Les titres sans-fil étaient déjà bien chèrement évalués avant que Verizon ne se pointe le nez et qu'Ottawa monte le ton, nous ont dit plusieurs gestionnaires, qui avaient déjà vendu des actions, bien avant juin.
Des pertes d’encore 8 à 10 % probables
« Les titres des fournisseurs établis pourraient reculer d’encore 8 à 10 % si Verizon confirme son entrée. Je n’ai jamais vu d’industrie éviter une réduction permanente de ses multiples d’évaluation quand un nouvel acteur majeur vient perturber le marché », indique Lieh M. Wang, gestionnaire du Fonds de dividendes l’Empire Vie.
Ces titres pourraient rebondir si Verizon recule, mais ils ne retrouveront plus leur évaluation initiale parce que la menace de la concurrence aura été plantée.
« Avec le risque à la baisse et un potentiel de rebond limité, je suis satisfait d’avoir réduit mes placements », dit-il.
Si Verizon s’installe, ces titres souffriront doublement d’une contraction de leur multiple d’évaluation et de leur bénéfice d’exploitation, qui sous-tend le calcul de leur évaluation.
De bien meilleurs choix dans d’autres industries
Claude Boulos, gestionnaire chez Gestion de portefeuille Selexia, ne possède aucun titre de télécommunications.
« Ces titres ont beaucoup monté après la crise de 2008 qui a profité aux dividendes. Aujourd’hui, la donne change, Ottawa veut de la concurrence, ce qui pose un risque pour le modèle d’affaires sur lequel repose leurs dividendes croissants », dit-il.
Il lui est difficile d’imaginer que ces sociétés pourront soutenir la cadence déjà anémique de leur croissance et leurs marges avec un quatrième fournisseur.
Contrairement à bien des analystes, M. Boulos ne croit que la chute récente de 13 à 22 % des titres de BCE, Telus et Rogers intègre pleinement l’effet qu’aura le nouvel environnement concurrentiel sur leur rentabilité future, ainsi que sur leur capacité à augmenter leurs dividendes à l’avenir.
Les investisseurs ont oublié qu’avant la crise, ces titres s’échangeaient à un multiple de cinq fois leur bénéfice d’exploitation. « Pourquoi payer plus cher aujourd’hui pour des bénéfices appelés à décliner ? », ajoute le gestionnaire.
De toute façon, à son avis, d’autres titres s’échangent à des multiples relatifs plus attrayants dans les secteurs industriel et des technologies, et ils profitent en plus de la reprise américaine tels que Groupe CGI, Celestica, Open Text ou encore les fabricants de pièces d’autos Magna International et Linamar.
Québecor mieux placée
Québecor mieux placée
« Dans ce type de situation, il faut évaluer la perte potentielle dans le pire des scénarios et prendre une décision. On ne peut pas rester entre deux feux », explique Christine Décarie, gestionnaire de portefeuille au Groupe investors.
Elle ne détient donc pas d’actions de BCE dans le Fonds d’entreprises québécoises qu’elle gère, mais elle y conserve ses actions de Québecor parce que les investisseurs accordent déjà peu de sa valeur à sa division sans-fil, de toute façon.
M. Wang a acheté davantage d’actions de Québecor, car l’entreprise est moins susceptible de souffrir au Québec de la venue éventuelle de Verizon
« Les revenus par abonné étant plus faibles au Québec, c’est moins rentable pour l’Américaine d’y faire concurrence », dit-il.
De plus, Québecor réduit la dette qu'elle a contractée pour racheter les actions que détenaient la Caisse de dépôt dans Québecor Média. Enfin, ses dépenses en capital diminuent, ce qui devrait lui permettre éventuellement de distribuer davantage de ses bénéfices en dividendes.
Telus préféré malgré tout
Chez Investissements Standard Life, les gestionnaires accordent moins de place qu’avant aux fournisseurs de télécommunications, mais se tiennent prêts à racheter ou à vendre leurs actions en fonction des événements et de la fluctuation des cours, indique l’analyste Brian Chan.
« Ça me fait penser à la réforme des prix des génériques pour les pharmacies. Leurs titres ont baissé plusieurs fois au fil des décisions des gouvernements, mais les entreprises se sont adaptées. C’est sûr que si Verizon entre ces titres connaîtront une nouvelle chute en Bourse, même si l’Américaine ne mène pas de guerre de prix », dit-il.
Parmi les trois titres, M. Chan préfère tout de même Telus, parce que son service télé Optik lui procure de la croissance et que la part des bénéfices qu’elle verse en dividende est raisonnable.
BCE tire moins de sa valeur du sans-fil, mais ce service lui procure tout de même une bonne part de sa croissance. L’entreprise peut au moins compter sur le télédiffuseur Astral et des suppressions de coûts pour amortir les coups.
Quant à Rogers, M. Chan n’exclut pas la possibilité que le principal fournisseur sans-fil au pays conclut une entente commerciale avec Verizon pour partager son propre réseau canadien et obtenir l’itinérance pour les appels de ses clients aux États-Unis, une fois devant le fait accompli.
Une menace gérable
Une menace gérable
Chez Franklin Bissett Investment Management, les gestionnaires ne tournent pas le dos aux trois fournisseurs sans-fil établis, et ils suivent la situation de près pour sauter sur l'occasion d’augmenter ou de réduire leurs placements, dit l’analyste Izabel Flis,
« Ces titres méritent certainement une évaluation inférieure qu’auparavant, mais nous ne croyons pas que Verizon détruira le modèle économique des fournisseurs établis. Ce n’est pas parce que Verizon arrive qu’elle raflera tous les clients. Elle devra offrir des forfaits alléchants. Il lui faudra aussi des années pour gagner des parts de marché », ajoute-t-elle.
Pour l’instant, la menace de Verizon n’est pas suffisante pour vendre ces titres puisque leur dividende actuel est solide, dit pour sa part Luc Fournier, gestionnaire chez Industrielle-Alliance.
« Toutefois, si la compétition devient plus rude et nuit aux revenus, les hausses de dividendes futures sont en péril », reconnaît-il.
Prochaine étape à surveiller dans cette saga : le 17 septembre, les participants aux enchères des licences de fréquences sans-fil à 700 MHz doivent avoir soumis un dépôt initial pour être éligibles aux enchères qui se tiendront en janvier 2014.
En raison de leur qualité, ces fréquences sont prisées parce qu’elles permettront d’offrir les meilleurs appareils sans-fil, ainsi que les vitesses de téléchargement les plus rapides.
Chute des actions des trois fournisseurs sans-fil depuis leur sommet annuel
Rogers , RCI.B - 22 %
Telus, T - 16 %
BCE, BCE - 13 %
Quebecor, QBR.B - 7 %