J'adore Montréal ! C'est la ville que j'ai choisie, et je m'y sens bien. Cependant, en tant que femme d'affaires, je reçois depuis de nombreux mois suffisamment de signaux pour m'inquiéter de son avenir. Une inquiétude confirmée par les nombreuses fermetures dont les médias nous abreuvent depuis quelque temps. Si les grandes enseignes font la une des journaux à ce propos, il convient de ne pas oublier que de plus en plus d'entreprises plus modestes, de commerces de proximité, ferment aussi leurs portes ou décident de s'installer sous de meilleurs cieux. Pourtant, la métropole a tout pour réussir... mais Montréal reste la ville des paradoxes.
La métropole a tous les atouts pour réussir, mais...
Montréal offre un environnement propice aux entreprises, puisqu'elle est une des métropoles d'Amérique du Nord où les loyers et les coûts d'exploitation totaux sont les plus faibles¹. Elle figure au top 20 de villes du monde où il fait bon vivre². Mais les entrepreneurs et leurs familles préfèrent de plus en plus s'installer ailleurs, ne serait-ce qu'à quelques dizaines de kilomètres.
Grâce à ses onze établissements universitaires, dont quatre universités à vocation générale, Montréal est considérée comme l'une des meilleures villes du monde pour faire des études à l'étranger (Economist Intelligence Unit). Elle compte toutefois moins de diplômés universitaires au sein de sa population que de nombreuses autres métropoles.
Montréal, qui accueille les trois quarts des nouveaux arrivants du Québec, est la capitale de la diversité culturelle. Ce qui pourrait être un atout certain dans une économie mondialisée, mais pour des raisons purement linguistiques ou de reconnaissance des diplômes, la métropole ne semble pas vouloir profiter de cette grande richesse.
Avec son port, son aéroport et sa proximité des États-Unis, Montréal est considérée comme une plaque tournante en Amérique du Nord. Pourtant, il est de plus en plus difficile de s'y rendre, d'y stationner, et il n'existe toujours pas de liaison rapide vers l'aéroport de Dorval.
CHUM, CUSM, Institut de cardiologie, CHU Sainte-Justine, Hôpital général juif... déjà dotée d'une belle infrastructure médicale, Montréal est la seule ville du monde où deux nouveaux hôpitaux universitaires sont en construction. Pourtant, jamais le service des urgences n'a si mal porté son nom !
Grâce à un secteur de l'aérospatiale qui compte plus de 17 000 employés, Montréal se situe dans le Top 3 mondial du domaine, sans oublier qu'elle occupe une place de choix dans des secteurs tels que les technologies de l'information, le jeu vidéo, le cinéma, l'industrie pharmaceutique ou encore l'art et la culture, avec ses nombreux festivals de réputation internationale. Ajoutez à cela que Montréal est une des métropoles d'Amérique du Nord qui a la plus forte concentration d'ingénieurs, qu'elle se distingue aussi dans le domaine du transport des marchandises, de la distribution et de la transformation alimentaire... et voilà un tableau idyllique qui laisserait présager un avenir très prometteur. Ça ne semble toujours pas être le cas, et si les plus optimistes prévoient une embellie en 2015, Montréal fait toujours mauvaise figure parmi les grandes villes canadiennes, selon les indices clés de la performance que sont la croissance économique, celle du revenu disponible de ses citoyens, la croissance démographique et le chômage. En 20 ans, Montréal a perdu 20 % de ses grands sièges sociaux.
Des défis à relever, des mentalités à changer
Montréal fait face à un certain nombre de défis à relever qui ont été bien cernés par les économistes et les observateurs. On parle d'infrastructures, de transport en commun, de complexité administrative, des pouvoirs de la ville, de leadership, de langue, de vieillissement de la population ou encore de financement des universités... C'est vrai ! Mais peut-être faudrait-il explorer aussi d'autres pistes...
Et si nous changions un peu nos mentalités ! Et si nous pensions différemment, pour sortir de nos modèles actuels qui semblent parfois archaïques à l'heure de la mondialisation et du commerce électronique. Peut-être devrions-nous nous inspirer plus souvent de ce qui se fait ailleurs et qui fonctionne, au lieu de vouloir sans cesse réinventer l'eau chaude à coup d'études de plusieurs millions de dollars dont on ne tient souvent pas compte.
Deux mots clés me viennent aussi à l'esprit : éducation et prévention. Dans une province qui s'illustre par son nombre d'analphabètes fonctionnels, ce n'est pas au secondaire qu'on doit combattre le décrochage scolaire, mais dès les premières années du primaire. Dans une province qui a du mal à soigner efficacement et rapidement ses citoyens, il serait temps de les éduquer en mettant en place des programmes de prévention relayés par tous les thérapeutes formés à cet effet. Ne dit-on pas qu'il vaut mieux prévenir que guérir ? Et puis, qui sommes-nous pour penser que des médecins, des ingénieurs ou des chercheurs formés ailleurs dans le monde sont moins compétents que les nôtres ! De grâce, arrêtons de nous regarder le nombril et avançons !
Je ne pourrais pas conclure sans parler de nos entrepreneurs. Ils sont probablement les premières victimes de notre mentalité. Ceux qui réussissent obtiennent plus de reconnaissance à l'étranger... qu'ici. Car chez nous, la réussite dans ce domaine et non seulement mal perçue, mais en plus, elle éveille les soupçons. Les autres se battent au quotidien pour s'en sortir et éviter une fermeture qui ne viendrait qu'allonger dramatiquement la liste.
Nous avons tous une responsabilité en matière d'éducation, de prévention et de conscience. Nous avons le devoir de changer nos mentalités. C'est aussi à ce prix-là que la province, et surtout la métropole, sauront relever tous les défis. Si grâce à son festival, Montréal est considérée comme la capitale du rire, il serait temps qu'elle redonne aussi le sourire à ses habitants, à ses entrepreneurs et à ses commerçants. Si le dynamisme du maire Denis Coderre est déjà très encourageant, je pense aussi que nous avons tous notre part à faire.
1 KPMG, «Competitive Alternatives Interactive Cost Model, 2012» 2 Economist Intelligence Unit, 2014
Biographie
Danièle Henkel a fondé son entreprise en 1997, un an après avoir créé et commercialisé le gant Renaissance, distribué partout dans le monde. Mme Henkel a été plusieurs fois récompensée pour ses qualités de visionnaire et son esprit entrepreneurial. Elle est juge dans la téléréalité à caractère entrepreneurial Dans l’œil du dragon, diffusée à Radio-Canada.