La musique de Noël a ceci de particulier qu'on l'apprécie un mois sur douze et qu'on l'a en horreur le reste de l'année. Ainsi ont récemment été réhabilités chez moi Frank Sinatra, les soeurs McGarrigle, Bing Crosby et, bien entendu, le Vince Guaraldi Trio avec A Charly Brown Christmas.
En d'autres temps, c'est non. Si mon iPhone a le malheur de cracher Santa Claus is Coming to Town au mois de juillet, j'éprouve envers mon téléphone la même répulsion que si je portais une tarentule à mon oreille. Argh!
En fait, l'idéal serait que la musique des Fêtes apparaisse dans ma discothèque le premier week-end de décembre pour en disparaître le 2 janvier suivant. Et comme le progrès sait toujours tendre l’oreille au consommateur exigeant, c’est maintenant possible. Merci Spotify!
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Jusque-là, je ne m'étais pas entiché des services de musique en flux continu (streaming), ce qui est curieux puisque je suis un consommateur vorace de musique. Pour 10$ par mois, l'utilisateur a accès à plus de 30 millions de chansons auxquelles s’en ajoutent 20 000 chaque jour, selon les prétentions de l’entreprise de Stockholm. Spotify a débarqué au Canada en septembre, mais d’autres services du même genre étaient déjà bien installés au pays, comme Rdio, Songza, Deezer, YouTube…
Le coût du service est une aubaine, sachant que pour remplir à ras bord un iPod Classic de 80 Go, il faudra dépenser 20 000$ sur la boutique iTunes. L'équivalent de 166 ans d'abonnement à un service de musique en flux continu. C’est d’autant plus une aubaine que, contrairement à la croyance populaire, vous n’êtes pas propriétaire des morceaux acquis sur iTunes. Lorsque vous téléchargez un disque à partir de la boutique d’Apple, vous achetez un droit pour l’écouter, mais vous ne pouvez pas le donner, ni le vendre ou le léguer à votre mort comme vous pouvez le faire avec un CD par exemple.
Je me suis donc abonné à Spotify pour 10$ par mois, et j’ai deux mois gratuits à titre de nouvel abonné. Quelle a été ma surprise de voir que je n’avais pas accès à une liste de musique de Noël, mais bien à une quarantaine classées selon différentes sous-catégories, allant de Rockin’ Around the Christmas Tree à Ugly Sweater Party en passant par Anti-Christmas Carols.
Le service offre de nombreuses possibilités dont plusieurs que vous ne retrouverez pas sur la plateforme iTunes, du moins au Canada: syntoniser des chaînes selon des thématiques, accéder à des listes élaborées par d’autres utilisateurs, suivre des artistes, télécharger des disques sur son téléphone pour une écoute hors-ligne, ce qui est indispensable dans le métro ou si votre forfait sans fil est maigre en données.
Mais il n’y a pas que des avantages. L’interface est un peu compliquée et l’abondance fera en sorte que vous passerez par-dessus de nombreux morceaux. Je me suis surpris en fin de semaine à zapper comme je le fais avec ma télévision un lendemain de veille. Ce n’est pas une façon d’apprécier la musique.
Mais ce n’est pas ça le pire… J’ai un problème de conscience. J’aime la musique et les artistes qui la font. Non seulement ces services rétribuent chichement les créateurs, mais en se présentant comme des buffets à volonté, ils viennent banaliser leur oeuvre.
Au Canada, la Commission du droit d’auteur a fixé à 0,12 $ pour 1000 écoutes les redevances que doivent verser les services de streaming à la société Ré:Sonne, qui fait la gestion collective des droits d’auteur. Cela n'inclut pas la redevance versée à l'interprète, ni celle du compositeur. Il faut également savoir que la maison de disque se prend une part au passage. Spotify affirme retourner 70% des ses revenus aux artisans. Mais ça représente combien pour ceux qui font la musique?
Chez Dare to Care Records, un label indépendant qui compte parmi ses protégés des artistes comme Coeur de pirate, Marie-Jo Thériault, Malajube et Avec Pas d’casque, on n’hésite pas à comparer les services de streaming à une forme légalisée de Napster. «Les artistes n’y trouvent tout simplement pas leur compte. Ça ne se compare pas à l’achat par téléchargement, ni aux redevances versées par les stations de radio traditionnelles», affirme Roseline Rousseau-Gagnon, de l’étiquette indépendante.
Mais dans la foulée, elle reconnait que ses artistes n'ont pas vraiment le choix de distribuer leur matériel par l'intermédiaire des sites de streaming pour le faire rayonner. Le modèle d’affaires est en nette croissance alors qu’iTunes a vu ses ventes reculer pour la première fois l’année dernière. C'est d'ailleurs ce qui a motivé Apple à acheter Beats, qui en plus de fabriquer des écouteurs, exploite un service de streaming jugé prometteur.
Les artistes sont mieux rémunérés sur la vente physique de l’oeuvre (CD, vinyle) que sur la vente par téléchargement. Mais même cette dernière est nettement plus payante pour eux que la rémunération à l'écoute. C’est le cas particulièrement des groupes émergents et des artistes qui exploitent des créneaux moins populaires ou des marchés limités, comme le Québec. Ça n’a rien à voir avec Taylor Swift, qui bien qu’elle ait retiré avec fracas tout son catalogue de Spotify en novembre, peut tirer de juteux revenus des services de musique en flux continu. Les redevances deviennent intéressantes sur un nombre d’écoutes astronomique.
Le progrès trouvera toujours une solution pour satisfaire des clients de plus en plus exigeants. Mais le progrès ici est un jeu à somme nulle. Si j'économise des milliers de dollars, c'est forcément aux dépens de quelqu'un. C’est comme acheter des fringues fabriquées au Bangladesh ou du café cultivé sur des exploitations non équitables.
Je vais tout de même poursuivre mon expérience sur Spotify pendant au moins trois mois, je vous en redonnerai des nouvelles. Pendant ce temps, je vous promets que je vais continuer d’acheter des disques de mes artistes préférés, particulièrement les québécois. Vous pouvez en faire autant.
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