Mais qu’est-ce que c’est? Des CPG ? Des actions privilégiées? Des obligations? Non! Ce sont les parts de capital émises par Desjardins, des «bibittes» bien étranges dans l’écosystème du placement, où frayent pourtant beaucoup d’espèces exotiques.
La Fédération des caisses Desjardins a annoncé plus tôt cette semaine une nouvelle émission de parts de capital pouvant atteindre 1 milliard (G$). Au coût unitaire de 10$ (il faut en souscrire pour 100$), ces parts sont offertes uniquement aux membres de Desjardins et portent un intérêt assez alléchant de 4,5%. C’est près de 2 fois plus que les intérêts offerts sur les CPG les plus généreux.
Ce n’est pas la première émission de la sorte. Depuis 2012, Desjardins a lancé sur le marché pour 2,5 G$ de parts de capital. L’attrait pour le produit semble indéniable. Mais de quoi s’agit-il au fait?
Suivez-moi sur Twitter
Pour lire mes billets précédents
Chez Desjardins, on insiste pour dire que ce n’est pas un produit d’épargne, mais un moyen de capitaliser l’institution financière. Pour répondre aux exigences du comité de Bâle (Bâle III), la coopérative financière doit avoir un certain niveau de fonds propres. Pour simplifier la chose, disons qu’elle doit avoir de l’argent en réserve pour faire face à un éventuel tremblement de terre sur les marchés financiers. Pensons à la crise de 2008.
La coopérative d’épargne ne peut pas émettre d’actions comme les banques pour remplir ses coffres. C’est la raison qui explique la vente de ces parts.
Desjardins a bien raison d’insister sur le fait qu’il ne s’agit pas d’un produit d’épargne ou d’investissement. Ça ne ressemble à rien sur le marché. Les parts de Desjardins ne sont pas des titres de créances, comme les obligations. Ce ne sont pas non plus des titres de propriété comme les actions.
Et ce n’est pas l’équivalent d’un dépôt à terme ni d’un certificat de placement garanti. Les parts de Desjardins ne sont pas couvertes par l’assurance dépôt et l’institution financière ne garantit pas le produit. Cela n’a rien de particulièrement inquiétant. Desjardins est très solide.
Des irritants
Des irritants
Mais il y a néanmoins quelques éléments qui chicotent. D’abord, le taux d’intérêt n’est pas coulé dans le béton. Le taux ne pourra dépasser celui des obligations de 5 ans du gouvernement fédéral (1,75% actuellement) ou 4,25%. Comme on peut le voir, la coopérative offre le taux le plus élevé des deux. Cependant, le conseil d’administration de la Fédération peut modifier cette politique et les taux cibles, ou carrément interrompre le versement de l’intérêt.
Ce serait un moindre mal si seulement les détenteurs de parts pouvaient facilement s’en départir.
Or, il y a un risque d’être pris avec. Le prospectus qui accompagne la nouvelle émission de parts de capital indique qu’il peut être impossible de revendre les parts. Le porte-parole de Desjardins, André Chapleau, explique que l’institution financière a prévu un fonds fiduciaire pour faciliter la vie de ceux qui voudraient récupérer leurs billes. Selon lui, une caisse Desjardins peut rembourser à un membre ses parts, lesquelles sont ensuite versées dans le fonds fiduciaire en attendant un autre acheteur éventuel.
Le prospectus indique cependant que le rachat par le fonds fiduciaire est possible à certaines conditions. On ne sait pas lesquelles. Le document spécifie également qu’il peut y avoir un délai avant la conclusion du rachat. Desjardins n’est pas obligée de racheter les parts et peut refuser s’il y a un déséquilibre entre l’offre et la demande, y avertit-on.
Bref, les parts de capital Desjardins ont une vague ressemblance avec les parts des fonds de travailleurs: on sacrifie la liquidité en faveur de la «mission sociale».
Si les rendements offerts par les parts de Desjardins surpassent clairement ceux offerts par les obligations et les placements garantis, la comparaison avec les actions des banques est nettement moins flatteuse. Les titres bancaires sont beaucoup plus liquides, en ce sens qu’on peut facilement en acquérir et en disposer sur le marché boursier. Aussi, le rendement en dividendes est sous plusieurs aspects plus intéressant.
Par exemple, le dividende sur le titre de la Banque Nationale est presque identique, à 4,26%. Mais rappelons que les revenus en dividendes sont moins imposés que les intérêts. Il faut souligner cependant que cet avantage de l’action disparaît si le placement est fait à l’intérieur du REER. Les rendements ne sont pas imposés à l’intérieur d’un compte enregistré et tout ce qui en sort est imposé à titre de revenu, à 100%. Notons par ailleurs que les titres émis par Desjardins sont admissibles au REER, mais pas au CÉLI.
Tout cela m'amène à conclure que l’achat de parts de capital de Desjardins est moins un investissement qu’un placement patriotique. En acheter, c’est d’abord soutenir la coopérative financière à laquelle les membres ont adhéré. Et c’est exactement ainsi que la plus grande institution financière de la province positionne son produit.
Suivez-moi sur Twitter
Pour lire mes billets précédents