Vous connaissez l’astuce. Si vous commencez à fricoter avec le nouvel associé du bureau ou si vous succombez aux avances de cette cliente qui vous fait du charme depuis un an, ce serait une bonne idée de cesser de contribuer à votre REER si vous êtes marié.
Vous savez pourquoi? Si jamais cette aventure extraconjugale devait mener à un divorce, la moitié de ce que vous avez mis dans le REER aboutira entre les mains de votre futur ex. Idem pour votre régime de retraite. Les autos, les meubles, les maisons aussi. Ces éléments que je viens de mentionner constituent le patrimoine familial et celui-ci sera obligatoirement partagé en cas de divorce. On n’y échappe pas.
Évidemment, on ne coupe pas les meubles et les voitures en deux. On évalue la valeur du patrimoine, on partage les biens et on compense avec de l’argent pour arriver à une répartition 50-50. De «beaux» moments qui laissent de profondes cicatrices sur le bilan financier.Bref, c’est la raison pour laquelle les gens qui envisagent de divorcer cesse souvent de cotiser au REER.
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Pour la petite histoire, rappelons que le patrimoine familial a été instauré en 1989. Il vise à contrer les inégalités économiques en cas de séparation chez les couples mariés. Avant 1989, les gens qui se mariaient optaient en masse pour le régime de séparation de biens. Advenant un divorce, les ex-conjoints partaient chacun de leur côté avec leurs affaires, ce qui voulait souvent dire que la femme se retrouvait avec bien peu de choses alors que l’homme partait avec la maison, la voiture et l’argent.
Remarquez, ils pouvaient toujours s’en tenir au régime de la société d’acquêts, le régime matrimonial qui s’applique par défaut depuis 1970 au Québec. Le détail «par défaut» n'est pas anodin. Quand on se mariait, tous les biens et les actifs acquis durant le mariage (les acquêts) étaient partageables en cas de divorce, sauf si les mariés y renonçaient par contrat en optant pour le régime de séparation de biens. C’était le choix de la majorité des couples d’alors, pour ne pas dire celui des hommes.
Pour éliminer cette iniquité criante, on a inventé le patrimoine familial qui s'applique par-dessus le régime matrimonial et duquel les couples mariés ne peuvent se soustraire . Le patrimoine familial ne vise pas seulement à assurer une égalité économique après le divorce, mais aussi au moment de la retraite, des années après la séparation. Cela explique pourquoi le REER, les régimes de retraite et même les contributions à la Régie des rentes en font partie.
D’où ma question : pourquoi le CELI en serait-il exclu ? Comme je l’évoquais dans un précédent billet, le CELI n’est plus un compte d’épargne pour satisfaire des besoins à court ou à moyen terme. Avec des droits de cotisation relevés à 10 000$ par année, le CELI deviendra un pilier important de l’épargne-retraite.
Vers une révision du droit familial
Vers une révision du droit familial
Alors, est-ce que le CELI pourrait faire partie du patrimoine familial? Les avis sont partagés sur la question. Certains croient que c’est inévitable. D’autres affirment au contraire qu’il s’agit d’un faux problème. Depuis 1989, des progrès immenses ont été réalisés en matière d’égalité économique homme-femme. Il reste encore du chemin à faire, mais les avancées ont été telles qu’on se demande maintenant si le patrimoine familial ne couvre pas aujourd’hui trop large, avant même de songer y ajouter le CELI.
On aura bientôt une réponse. Ou du moins une piste. À la suite de l’affaire Éric et Lola en janvier 2013, le ministre de la Justice de l’époque, Bertrand St-Arnaud, a mis sur pied un comité consultatif afin de guider le gouvernement dans une éventuelle révision du droit familial. Depuis plus de deux ans, ce comité passe en revue les articles du droit de la famille, un chapitre du Code civil un peu rapiécé et parfois anachronique. Il déposera son rapport en juin.
Ses recommandations pourraient redéfinir l’étendue du patrimoine familial, autant dans ce qu’il contient que dans les situations dans lesquelles il sera appliqué.
Quant au CELI, j’ai eu un entretien très enrichissant avec Jocelyne Jarry, avocate de droit familial, chargée de cours à la Faculté de droit de l’UdeM et enseignante à l’École du Barreau. Elle m’a fait remarquer que l’inclusion du CELI dans le patrimoine familial est peu pertinente dans l’état actuel des choses.
La juriste rappelle que les biens et les actifs qui ne font pas partie du patrimoine familial et qui sont accumulés durant l’union doivent être partagés en vertu du régime de la société d’acquêts, celui qui s’applique encore par défaut aujourd’hui.
Or, dit-elle, il y a eu un revirement complet dans le choix du régime matrimonial depuis 25 ans. Très peu de couples se tournent vers le régime de séparation de biens, ignorant sans doute l’existence de cette option depuis l’instauration du patrimoine familial.
La grande majorité des couples mariés depuis 1989 le sont sous le régime de la société d’acquêts. Et comme les comptes de banque et les CELI, accumulés durant le mariage, font partie des acquêts, que vous déposiez votre argent dans un REER ou à l’extérieur pendant que vous flirtez avec la stagiaire ne changera pas grand-chose dans l’éventualité d’un divorce. Vous devrez diviser l’argent.
Le problème n'est plus là à mon avis. Les gens ne choisissent plus entre un régime matrimonial et un autre. L'alternative aujourd'hui se pose autrement: se marier ou non? C'est le plus souvent non. À cet égard, il est plus pertinent de se demander si la loi sur le patrimoine familial devrait s'étendre aux couples non mariés avec enfant. On le saura dans quelques semaines.
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