L’histoire est commune. C’est le couple qui vient d’entrer dans la trentaine, carrière prometteuse pour les deux conjoints, mais un peu cahoteuse sur les premiers kilomètres. Ils habitent un appartement un peu croche d’un quartier central à Montréal, mais la proximité de l’action fait plus que compenser le dénivelé du logement conçu en longueur. Une auto? Non. Ce serait au mieux inutile, sinon un paquet de troubles dans un quartier où elle est honnie (à moins que ce soit le maire de l’arrondissement, c’est selon).
Puis arrive un bébé…
Évidemment, leur nid perché au troisième étage d’un immeuble ne convient plus. Alors débute la quête d’un rez-de-chaussée, idéalement jouxté d’une cour dans les quartiers centraux de Montréal.
Bonne chance!
Après quelques mois à écumer les petites annonces et lancer des appels sur Facebook, les jeunes parents se résignent à s’installer en dehors de l’île, non sans avoir le sentiment de tourner la page sur un pan de leur vie. À cet égard, c’est vrai que le nouveau-né a préparé le terrain.
Deux mois plus tard, le jeune couple est l’heureux propriétaire d’un jumelé, avec une grande cour, sur la Rive-Sud, et roule en minifourgonnette. Il a hérité au passage d’une dette hypothécaire de 250 000 dollars, en plus des mensualités sur un véhicule neuf. C’est beaucoup, j’en conviens. Mais pour les jeunes familles, c’est le prix à payer en 2015 pour posséder sa maison.
Suivez-moi sur Twitter
Pour lire mes billets précédents
Alors, quand je lis ces rapports qui font état de l’endettement catastrophique des ménages, je me demande si la solution ne serait pas d’enfermer ces nouvelles familles dans des communes le temps qu’elles accumulent une imposante mise de fonds…
Depuis plusieurs années, on affirme que le taux d’endettement des Canadiens approche celui des Américains à la veille de la crise financière et le krach de l’immobilier, en 2008-2009. Encore la semaine dernière, une étude de McKinsey affirmait que les ménages du Canada et de l’Australie affichaient, parmi ceux des pays occidentaux, le pire ratio d’endettement par rapport à leur revenu. Chez les Canadiens, il se situe autour de 162%. Autrement dit, pour un salaire disponible de 100 dollars (après impôt), vous êtes endetté de 162 dollars.
«Ce que la crise financière a montré, c’est que lorsque les prix de l’immobilier grimpent et que les dettes des ménages gonflent, ce peut être une combinaison mortelle», affirmait une partenaire de la firme McKinsey au quotidien Globe & Mail, la semaine dernière.
Je ne comprends pas pourquoi on continue à brandir cet épouvantail. En 2008, les banques américaines prêtaient à n’importe qui sous le prétexte que (ou nourrissant l’idée que) les prix de l’immobilier allaient monter éternellement, alimentant du fait la bulle immobilière. Ces créances étaient de si mauvaise qualité que les prêteurs, pour dissiper le risque, les ont transformées en titres financiers (titrisation). Et ces derniers sont venus contaminer le marché des capitaux. Vous vous rappelez des fameux papiers commerciaux (PCAA) qui ont hanté la Caisse, la Banque Nationale et Jean Coutu ?
Comment calculer votre taux d'endettement
Comment calculer votre taux d'endettement
À 162%, le taux d’endettement par rapport au revenu atteint des sommets inégalés, certes. Mais l’enflure de cette donnée est pour beaucoup le résultat de la hausse des prix dans les régions les plus chaudes du pays. On pense notamment à Vancouver, Calgary et Toronto. En raison d’un marché de l’immobilier beaucoup moins cher au Québec, le ratio d’endettement est plus bas ici, même en tenant compte des salaires moins élevés.
Comme la majeure partie de l’endettement des ménages repose sur un actif, la maison, la dette est moins maligne. La situation deviendrait problématique si le prix des maisons devait encaisser un net recul. Or, le marché de l’immobilier au Québec semble avoir atteint un point d’équilibre après avoir effectué un atterrissage en douceur, selon un récent rapport du Mouvement Desjardins. Un krach semble donc peu probable.
Certains ménages pourraient éprouver des difficultés si les taux d’intérêt devaient monter. Plus vous êtes endetté, plus une hausse des taux vient gruger votre budget. Rien n’est impossible, mais le scénario d’une hausse rapide est de moins en moins plausible. Au contraire, la banque du Canada a abaissé son taux directeur le mois dernier.
Cela dit, beaucoup d’économistes mettent en doute le ratio d’endettement par rapport au revenu comme mesure fiable de la capacité des ménages à honorer leurs emprunts. Beaucoup lui préfèrent le ratio de service de la dette. Cette donnée a l’avantage d’indiquer clairement comment le poids de la dette vient peser sur le budget de la famille. Et le résultat est souvent beaucoup moins alarmiste que l’indicateur le plus souvent galvaudé.
C’est d’ailleurs la méthode proposée par l’Agence de la consommation en matière financière du Canada, le même organisme fédéral qui promeut la littératie financière au pays. Pour calculer ce ratio, vous devez additionner tous les paiements mensuels sur vos emprunts, le diviser sur votre revenu mensuel brut et multiplier le résultat par 100. Si votre résultat se situe en bas de 30%, votre situation est relativement sous contrôle et vous pouvez encaisser une hausse des taux hypothécaires. À plus de 40%, vous êtes à risque de défaut de paiement.
Calculé sur la base d’un revenu familial de 80 000 dollars, d’une hypothèque de 250 000 dollars sur 25 ans (3,5%) et d’un prêt-auto de 25 000 dollars sur 5 ans (0%), le ratio de service de la dette des jeunes parents exposés plus haut atteint environ 25%.
À plus de 420%, leur ratio d’endettement par rapport au revenu suggère plutôt la faillite personnelle. C’est vous dire.
Bien sûr, bien sûr, bien sûr, l’idée n’est pas de minimiser l’endettement des ménages québécois. Faites vos calculs, n’achetez pas une maison au-dessus de vos moyens, remboursez vos dettes rapidement, etc, etc.
Mais dans les conditions du marché, accéder à la propriété sans nourrir l’épouvantail relève de l’exploit.
Suivez-moi sur Twitter
Pour lire mes billets précédents