BLOGUE. Lire des rapports annuels fait partie de la vie de l’investisseur. Du moins, de l’investisseur qui approche le marché boursier comme une personne d’affaires. C’est une activité intéressante et enrichissante, mais en tirer le maximum n’est toutefois pas toujours évident. Et on vit des frustrations….
Je vais vous donner un exemple concret. En fin de semaine, j’ai lu le rapport annuel d’Abbott Laboratories, le géant de la santé. Comme je le fais toujours, j’ai commencé par lire le message du président à ses actionnaires, en l’occurrence Miles D. White. Et ce fut une lecture fascinante.
M. White explique en détails les grandes réalisations d’Abbott l’an dernier, soit entre autres des revenus en progression de 10,5% , des bénéfices en hausse de 11,8%, des fonds générés de plus de neuf milliards de dollars (G$) US et un dividende en hausse pour la 39e année. De plus, le conseil d’administration a annoncé son intention de scinder Abbott en deux, une société de produits médicaux qui continuera à porter le nom d’Abbott et une entreprise dédiée aux produits pharmaceutiques dont le nom reste à décider. La première, sur la base des résultats de 2011, aurait des revenus de 17,4G$US et la deuxième 21,5G$US.
Le président explique assez bien pourquoi la direction a décidé de procéder à cette division.
En raison de contraintes de temps, je n’ai pu lire tout le rapport annuel d’un coup. J’ai repris la lecture deux jours plus tard, abordant cette fois les états financiers. Et là j’ai eu certaines frustrations.
D’abord, dans l’état des résultats, j’ai observé que les bénéfices d’exploitation (les bénéfices avant les frais financiers et les impôts) en 2011 avaient reculé par rapport à 2010, passant de 6,1G$US à 5,7G$. J’ai immédiatement regardé les bénéfices nets, qui eux, étaient en faible hausse, passant de 4,6G$US à 4,7G$US.
J’en savais assez pour exciter ma curiosité. J’ai relu le message du président, notamment le passage où il parlait des bénéfices d’Abbott. Il mentionne que sa société a accru ses profits de 11,8%, mais O nuance, il parle de «ongoing earnings», sans expliquer davantage (habituellement, on ajoute un astérisque référant à une note définissant ce concept d’«ongoing earnings»). Je présume qu’il s’agit des bénéfices récurrents et qu’il y a eu une charge exceptionnelle l’an dernier.
Je retourne à l’état des résultats, mais après consultation intensive, je ne vois aucun poste extraordinaire. Je note toutefois que les dépenses générales («selling, general and administrative») ont augmenté considérablement pendant l’exercice. Il est possible que le poste extraordinaire ait été imputé à cet item.
Je consulte par la suite l’état de l’évolution de la situation financière en me disant que c’est le meilleur moyen, de toute façon, d’évaluer la vraie rentabilité de la société. Je serai déçu car je n’y vois aucun poste pouvant expliquer l’écart entre les profits des états financiers et ceux mentionnés par le président. Les fonds autogénérés en 2011 ont été faiblement en hausse par rapport à 2010. J’y vois par contre qu’Abbott amortit à la vitesse de la lumière des actifs intangibles, ce qui camoufle une partie de ses bénéfices. On parle de 1,6G$US en 2011 et 1,4G$US lors de l’exercice précédent. C’est 30% des bénéfices avant impôts de 2011.
Pour faire une histoire courte, j’ai trouvé l’explication dans un tableau de la note 6 («Segment and Geographic Area Information») et à la note 7 intitulée «Litigation and Environmental Matters». Abbott a pris une charge de 1,5G$US en 2011 reliée à une enquête menée par le ministère de la Justice américain concernant ses activités de vente et marketing pour le Depakote, un médicament pour les troubles bipolaires.
Je me serais attendu à ce qu’une société de cette taille fasse preuve de plus de limpidité. Peut-être pas aller jusqu’à demander au président d’en parler dans son message à ses actionnaires, mais certainement d’y consacrer une ligne dans son état des résultats.
En terminant, si vous voulez calculer les bénéfices récurrents et pertinents d’Abbott, vous devez éliminer cette charge, ajouter l’amortissement de l’actif intangible et tenir compte du fait que la société a payé seulement 9,0% d’impôts en 2011 comparé à 19% l’année précédente.
Bernard Mooney