BLOGUE. Si un spécialiste vous présente une théorie ou une prévision comme étant une évidence, soyez au moins sceptique. Si, en plus, vous constatez que de nombreux experts font la même prévision, encore là en la présentant comme une évidence, ouf, sauvez-vous le plus vite possible.
Car dans le monde financier, lorsqu’une idée, une théorie ou une prévision est répandue au point d’être devenue une «évidence», c’est probablement une mauvaise idée.
Par exemple, ça fait pratiquement plus de cinq ans qu’on entend gourous et spécialistes nous avertir que l’inflation va exploser. Pourtant, le taux d’inflation, autant au Canada qu’aux États-Unis, demeure bien contenu et est loin d’être un problème.
Cela n’empêche pas la chorale d’experts et gourous de continuer de chanter la même chanson en insistant que c’est une évidence.
Autre exemple: depuis combien d’années tout le monde prédit une hausse des taux d’intérêt? J’ai moi-même prédit cette hausse «imminente», je ne me rappelle plus quand exactement, mais il y a de ça de nombreuses années. Et je plaide coupable: j’ai même mentionné que c’était évident. Évident mon oeil, Mooney!
L'exemple de la bulle obligataire, page 2
Je ne suis pas seul. «Vendre à découvert les obligations du Trésor américain est une évidence flagrante («no brainer»)....chaque être humain devrait faire cette transaction», a lancé plus convaincu que jamais Nassim Taleb, auteur de deux livres à grand succès («Fooled by Randomness» et «The Black Swan»).
Cette déclaration d’évidence date de février 2010 et si vous aviez suivi ce conseil, vous auriez perdu au moins votre chemise car, contre toute attente (!), les taux d’intérêt ont continué de baisser, faisant grimper le prix des obligations (vendre à découvert une obligation c’est miser sur une hausse des taux et une baisse des prix de l’obligation).
Et je ne serais pas surpris d’apprendre que M. Taleb est encore convaincu de son évidence!
En fait, combien sont-ils à parler d’une bulle du marché obligataire? Encore là, je plaide coupable, au moins en partie, car j’ai déjà écrit à ce sujet, même si j’ai horreur du concept de «bulle» qui est à mon avis beaucoup trop utilisé à toutes les sauces.
Savez-vous qu’on a commencé de parler de bulle obligataire en 2008? Il y a donc quatre ans qu’on en parle, qu’on la prédit, qu’on la décrit, toujours en soulignant son évidence...
Autre exemple: à chaque fois que la Réserve fédérale est intervenue pour stimuler l’économie (ce qu’on appelle dans le jargon financier Q1, Q2 et maintenant Q3), bien des experts ont lancé que le dollar américain était condamné. Oups. On attend encore.
Le but de ces mots n’est pas de prédire quoique ce soit, concernant l’inflation, le dollar ou les taux d’intérêt. Non. Je veux uniquement montrer jusqu’à quel point il y a des idées, présentées comme des évidences. Et qu’il faut s’en méfier.
Je vous dirais, qu’après plus de 25 ans à suivre les marchés, je constate qu’il n’y a pas grand chose de vraiment évident. Et lorsque je suis convaincu d’avoir identifié une de ces évidences, souvent, très souvent, je me prépare pour être très déçu.
Alors, si vous entendez ou lisez un commentaire qui commence par «il est évident», je vous conseille d’être prudent...
Bernard Mooney