BLOGUE. Quel pays a les plus grands dirigeants? Qui peut se vanter d’avoir les plus meilleurs bâtisseurs?
D’un premier coup d’oeil, cette question nous fait penser à des dirigeants du calibre de Warren Buffett, de Berkshire Hathaway, ou Steve Jobs, le regretté visionnaire d’Apple, ou Sam Walton, fondateur de Wal-Mart, ou même Jack Welch de General Electric, etc. etc.
Il y a tant de noms qui nous viennent en tête, principalement américains, qu’il est tentant de conclure que les États-Unis méritent la médaille d’or pour ce qui est des plus grands dirigeants.
Cette question m’est venue la semaine dernière après la lecture du reportage du magazine Fortune consacrant Jeff Bezos, président d’Amazon.com, l’homme d’affaires de l’année. J’ai une grande admiration pour M. Bezos, qui a créé une société extraordinaire, un véritable rouleau compresseur commercial.
L’article a nourri mon admiration pour le pdg que je connais tout de même assez bien, au point que je me suis demandé, un moment, pourquoi on n’avait pas de tel dirigeant au Canada ou au Québec. Je me suis immédiatement corrigé, en me disant que c’était faux.
Après réflexion, j’en suis venu à la conclusion que c’était un préjugé et probablement une illusion.
D’abord, les investisseurs d’ici sont bombardés par la grande machine médiatique américaine, au point d’avoir possiblement une vision déformée de la réalité. En effet, on entend proportionnellement beaucoup plus parler des Jeff Bezos de ce monde que des Prem Watsa et des Alain Bouchard de notre monde, respectivement version canadienne et québécoise.
Dites-moi combien de livres ont été écrits sur Steve Jobs ou sur les dirigeants de Google ou sur M. Buffett etc. et comparez ce nombre aux livres écrits sur Bruce Flatt (le président de Brookfield Asset Management....le fait que je doive absolument dire de quelle société en dit long en soi!) ou sur Yves Des Groseillers (du Groupe BMTC).
Les Québécois doivent conquérir trois marchés!
Vous ne trouverez pas d'ouvrages sur les présidents canadiens mentionnés, non parce qu’ils ne le méritent pas, mais d’abord et surtout en raison de la petitesse structurelle de notre marché.
Et aussi du fait que notre culture accorde moins d’importance aux réalisations des gens d’affaires que c’est le cas aux États-Unis. Vous avez plus de chance ici d’avoir une biographie sur un personnage politique, un syndicaliste ou une chanteuse. Telle est la réalité canadienne et c’est encore plus vrai au Québec.
La culture américaine, malgré tous les fiascos et les désastres des derniers 15 ans, fait une plus grande place à la réussite financière.
Enfin, l’énormité du marché américain crée d’elle-même des géants, susceptibles plus facilement d’envahir la planète. Les sociétés américaines ont de plus la culture, la langue et le pouvoir de l’argent à leur portée.
En ce sens, nos sociétés (encore plus vrai au Québec qu’au Canada) sont fondamentalement désavantagées, devant franchir un mélange de barrières culturelles, linguistiques et écono-financières. Pour réussir, une entreprise québécoise doit dominer le Québec, ensuite répéter l’exploit au Canada et ensuite aux États-Unis. C’est l’équivalent de conquérir trois marchés différents, tout cela pour avoir un succès au rayonnement semblable à celui d’une société américaine.
Ayant un tout petit marché, il est normal d’avoir moins de dirigeants exceptionnels au Québec. La réalité, c’est que nous avons nos propres dirigeants de classe mondiale, mais ils sont beaucoup moins connus que les dirigeants américains de même calibre.
Enfin, les réalisations d’un pdg ne devraient pas se mesurer au nombre de fois qu’il fait la Une de Fortune ou du Wall Street Journal, ou refléter son «exposure» médiatique. Mais il est difficile de résister et de ne pas être influencé par le battage médiatique.
Bernard Mooney