Le 5 mai, La Presse publiait un dossier spécial sur les assemblées annuelles des actionnaires sous le titre «Un rituel dépassé ?». Imaginez ma réaction alors que j'étais à peine revenu d'un week-end à Omaha pour assister à l'assemblée de Berkshire Hathaway, la société de Warren Buffett et de son partenaire, Charles Munger.
Pourquoi traverser la moitié de l'Amérique et prendre toute une fin de semaine pour assister à ce qui est vu par la très grande majorité comme un rituel monotone, dépassé, voire inutile ?
Ma réponse est limpide : cette assemblée est unique, et tous les investisseurs et bien des gens d'affaires, peu importe leurs intérêts, auraient grand avantage à faire comme moi.
Plusieurs lecteurs me connaissant, se diront : «C'est normal, car Mooney est un fanatique de Buffett». Ils ont presque raison, sauf qu'il y avait 40 000 autres personnes comme moi le samedi matin 3 mai dans l'amphithéâtre d'Omaha.
J'y ai rencontré des entrepreneurs oeuvrant dans plusieurs secteurs industriels, des investisseurs de partout dans le monde, des actionnaires de toutes provenances, certains très riches, d'autres pas du tout. Tous, sans exception, parlent de l'assemblée de Berkshire comme d'un événement unique au monde, à vivre au moins une fois dans une vie. Et je suis d'accord.
Ce n'est pas seulement le savoir financier que je viens chercher à Omaha. C'est toute la sagesse touchant le monde des affaires et la vie en général. Et c'est exactement ce que de nombreux autres actionnaires m'ont affirmé.
Dire que l'assemblée de Berkshire est différente, c'est manquer de mots. Une assemblée typique dure seulement quelques minutes. Et les rares questions des actionnaires sont rapidement évacuées.
Chez Berkshire, l'assemblée commence à 2 h 30 du matin alors que les premiers actionnaires s'amassent à la porte de l'amphithéâtre pour être certains d'avoir un bon siège. Et elle se termine vers 16 h, après plus de cinq heures de questions (plus de 60 au total). MM. Buffett (83 ans) et Munger (90 ans) répondent de façon alerte, brillante et souvent fort amusante. Dire que je suis vidé après une conférence de moins de deux heures !
Si vous êtes attentif, leurs réponses vous donneront des pistes pour comprendre ce qui pourrait bien être le plus grand succès de tous les temps du capitalisme moderne.
Berkshire, c'est plus de 70 filiales générant d'importantes liquidités qui aboutissent au siège social. Son président, Warren Buffett, investit ce capital dans les meilleures occasions offertes à la fois par les marchés financiers et dans le monde des affaires.
«Voilà l'essence du capitalisme, n'est-ce pas, que de répartir le capital de façon optimale», a mentionné M. Buffett, en expliquant que ce serait une grave erreur de séparer Berkshire Hathaway en quatre entités distinctes.
Gestion ultra décentralisée
Le conglomérat se distingue par sa gestion décentralisée. Les deux dirigeants ont abordé cet aspect plusieurs fois.
M. Buffett a pris le temps d'expliquer que la décentralisation «à la Berkshire Hathaway» a certes des désavantages. «Nous sommes incapables de mesurer comment notre approche a permis à des dizaines et des dizaines de personnes de réaliser de grandes choses, parce que nous les avons laissés libres.»
Berkshire n'a pas de service des ressources humaines, ce qui est impensable pour la plupart des entreprises. «Selon les normes du reste du monde, nous faisons trop confiance. Mais cette culture de confiance méritée fonctionne», a ajouté M. Munger.
M. Buffett s'est fait demander quelles étaient les faiblesses de l'entreprise. «Je prends du temps à effectuer des changements de dirigeants», a-t-il répondu. Pour illustrer ce point, Charlie Munger a raconté que les deux partenaires ont participé au transfert d'un dirigeant d'une filiale directement à une maison spécialisée dans les soins de personnes atteintes de la maladie d'Alzheimer.
Puisque le modèle de Berkshire Hathaway est si brillant, pourquoi n'est-il pas plus imité ? «La lenteur répugne les gens plus que n'importe quoi», a dit M. Buffett en faisant allusion au fait que son approche est fondée sur l'enrichissement à long terme, sans précipitation.
Coca-Cola : une abstention qui fait jaser
La réussite de ces deux investisseurs repose d'abord et avant tout sur la rationalité. Cette dernière est facile à exprimer par écrit, mais plus difficile à vivre au quotidien.
En terminant, M. Buffett est revenu sur les facteurs qui motivent sa décision de s'abstenir de voter sur le nouveau programme de rémunération de Coca-Cola. En un mot, il préfère ne pas déclarer la guerre à une direction qu'il apprécie, et soutient que son abstention a suffi à faire passer son message.
Précision
Une erreur s'est glissée dans le tableau «Ces titres ont grandement enrichi leurs actionnaires» qui accompagnait mon texte «Comment faire 100 fois son argent en Bourse», publié le 26 avril. Basé sur Bloomberg, il était écrit que le rendement du Canadien National avait été de 14 407 % sur 20 ans. Or, le titre du CN a été inscrit en Bourse en 1995. Le rendement est plutôt de 3 612 % depuis le 11 novembre 1995.