Le Journal Les Affaires publie cette semaine un intéressant dossier sur la rareté des premiers appels publics à l’épargne (PAPE) au Québec, sous la plume de François Normand, qui mérite des félicitations.
Le phénomène est réel, important et peu discuté. Il y a une paucité inquiétante de nouvelles sociétés québécoises qui font leur entrée en Bourse. C’est vrai depuis quelques années, mais c’est aussi vrai depuis encore plus longtemps. On pourrait même avancer que le Québec financier ne s’est jamais vraiment remis de la bulle du RÉA, qui a explosé en mille miettes en 1987.
J’ai écrit de nombreuses fois sur les PAPE, d’abord pour mettre en garde les investisseurs, car il s’agit très souvent de mauvais placements. Mais, il est clair que sur le plan économique, les PAPE sont très importants. Et leur apport est souvent mal compris et très sous-estimé.
Prenons le RÉA comme exemple. J’ai déjà écrit pour critiquer ce régime, qui a ouvert la porte à bien des abus. Mais avec le grand avantage du recul, ses retombées sont fascinantes. Oui, il y a bien eu des sociétés québécoises qui sont devenues d’importantes entreprises actives dans le monde entier. Il suffit de mentionner des noms, évidents, comme le Groupe CGI (Tor., GIB.A) et Alimentation Couche-Tard (Tor., ATD.B) pour s’en convaincre.
Mais plus loin et moins évident, il y a toute une génération financière qui a germé et qui contribue encore à notre essor économique.
Je me rappelle à mes débuts au Journal, en 1986, je consultais régulièrement deux analystes tout frais sortis de l’université. Ils contribuaient souvent à mes articles sur les titres québécois, entre autres dans le secteur des ressources. Leur nom: André Gaumond et Gaétan Morin.
Trente années plus tard, le premier est président de Mines Virginia et est généralement reconnu comme un des meilleurs au monde dans son domaine. L’autre, après avoir entre autres géré un fonds de capital de risque dans le secteur minier, est président du Fonds FTQ.
Wow, n’est-ce pas?
Et en fin de semaine, je me suis mis à réfléchir au fait que le RÉA avait aussi joué un rôle dans mon entrée dans le monde du journalisme financier. En effet, si Jean-Paul Gagné, rédacteur en chef du Journal Les Affaires à cette époque, m’a donné la chance de faire mes preuves, alors que je n’avais aucune expérience et aucune formation dans le domaine, c’est en raison de l’explosion de la demande d’information financière provoquée en grande partie par l’effervescence du RÉA.
La faute à la réglementation excessive
Ceci dit, le déclin permanent des PAPE s’explique principalement à mon avis par la concentration excessive de l’industrie financière et par la réglementation excessive. Par définition, qui dit PAPE dit petites entreprises. Et les grandes sociétés financières qui dominent si outrageusement l’industrie n’ont aucun intérêt pour ces petites entreprises, surtout pas pour prendre le risque de les mener en Bourse avec les revenus insignifiants qu’elles représentent par rapport aux risques.
Que les grosses financières n’aient aucun intérêt n’est pas un péché en soi. Ce qui est cancérigène, c’est qu’il n’y a plus de place, plus du tout, pour les plus petites sociétés financières spécialisées.
Lorsque j’ai commencé à interviewer André Gaumond et Gaétan Morin, ils travaillaient pour la firme de courtage Bell Guinlock, spécialisée en ressources, particulièrement dans la couverture des petites sociétés (l’exploration minière était aussi en vogue en raison de l’attrait fiscal des actions accréditives). Or, il n’y a plus de place pour les Bell Guinlock aujourd’hui, les petites financières ne pouvant survivre pour plusieurs raisons, mais surtout parce qu’elles étouffent sous le fardeau réglementaire. C’est vrai pour les firmes de courtage comme pour les sociétés de gestion.
Depuis 30 ans, chaque cycle boursier a provoqué une nouvelle vague de nouvelles réglementations plus complexes, plus coûteuses et plus coercitives. De façon à créer un environnement où seules les grandes sociétés financières peuvent survivre et prospérer (les grandes banques canadiennes dominatrices sont confortablement installées au centre de l’industrie).
On pourrait dire qu’en voulant une industrie supposément «pure», on a tué les petites sociétés d’où proviennent l’innovation, la prise de risque, l’entrepreneurship et aussi la plus grande partie des premiers appels publics à l’épargne.
J’irais jusqu’à dire que c’est aussi vrai dans le monde du capital de risque dominé et monopolisé au Québec par deux créatures étatiques, la Caisse de dépôt et placement et le Fonds FTQ.
L’enfer est pavé de bonnes intentions, comme on dit. C’est exactement le cas pour ce qui est de la réglementation de l’industrie financière, qui est allée trop loin.
Si vous voulez relancer les PAPE, il faut commencer par déréglementer de façon significative l’industrie, pour permettre aux petites sociétés de naître, de respirer et de prospérer.
Bernard Mooney
P.S . Il n’y a pas que le secteur financier qui se noie dans la réglementation excessive. Toute notre économie pourrait trouver un nouveau souffle si on relâchait un peu cet étau. BM