BLOGUE. Sans avoir reçu « le tiers du quart » de l'attention médiatique dont bénéficie généralement Apple quand il est question de l'iPad, Microsoft a annoncé lundi le lancement d'un concurrent en apparence sérieux, qui marque en plus un changement critique dans sa stratégie d'entreprise.
Mon collègue Julien a déjà bien résumé l'essentiel à propos des tablettes Surface, qui seront conçues par Microsoft elle-même, plutôt que par des partenaires comme la firme de Bill Gates en a l'habitude. Pour ma part, j'ai noté quelques observations et questionnements.
• Au-delà de la tablette elle-même, je suis impressionné par les deux couvertures protectrices proposées comme compléments, qui intègrent aussi clavier et pavé tactile. En une soirée, les « Smart Covers » d'Apple sont passés de héros à zéros. Reste à voir s'ils sont ergonomiques et aussi utiles qu'ils ne le paraissent, mais Microsoft dispose déjà d'une solide expertise pour ce qui est des claviers et des souris. Elle est l'une des, sinon la meilleure dans ce domaine.
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• Microsoft elle-même n'essaiera pas de faire croire à personne qu'elle n'essaie pas d'imiter l'iPad d'Apple. Elle n'est pas la première, que ce soit pour les tablettes ou d'autres gammes de produits. Mais il y a un élément clé de la stratégie d'Apple que ses rivaux semblent constamment sous-estimer et pour lequel ils ne semblent jamais prêts à faire les sacrifices nécessaires : réduire la gamme à sa plus simple expression.
Il n'y a qu'un iPad, avec de subtiles différences de mémoire et de connectivité 3G qui n'affectent en rien l'uniformité du travail pour les développeurs d'applications. Il n’y a aussi qu’un iPhone. L'iPod fait un peu exception. Pour les consommateurs, c'est facile à comprendre.
Or, il y aura deux tablettes Surface bien distinctes, qui partageront le nom (et les efforts de marketing), mais qui n'auront ni le même système d'exploitation, ni le même processeur et, par conséquent, pas nécessairement accès aux mêmes applications. Pour essayer de plaire au plus grand nombre, on crée la confusion au sein du plus grand nombre.
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• Parlant d'applications, Microsoft a annoncé que les tablettes Surface seront compatibles avec les logiciels développés pour Windows 8. C'est à la fois une bonne et une mauvaise nouvelle. Bonne, évidemment, parce que ses utilisateurs auront d'un coup accès à des milliers de logiciels. Pour Microsoft, c'est un excellent moyen d'utiliser sa domination dans le domaine du PC comme levier pour intégrer celui des tablettes.
Mais c'est aussi une mauvaise nouvelle, parce que toutes ces applications ne sont pas conçues pour être utilisées avec un écran tactile. Pour avoir déjà testé un ExoPC, la fameuse tablette québécoise, il y a un moment déjà, je sais qu'il est illusoire de penser qu'une application Windows conçue avec une souris et un clavier en tête va être fonctionnelle sur un écran tactile.
Bien sûr, il y a les couvertures avec clavier et pavé tactile, mais veut-on vraiment être obligé de s'en servir si souvent?
Microsoft aura encore beaucoup de travail à faire pour convaincre les développeurs d'application de penser soit à des interfaces hybrides (!?), soit à deux interfaces distinctes.
• Ceux qui ont lu la biographie de Steve Jobs, et les grands débats qu'il a pu avoir avec Bill Gates, directement et indirectement, savent que, où qu'il soit, Jobs a un sourire en coin. Le fondateur d'Apple a toujours été le champion de l'intégration logiciel/matériel. Gates a toujours fait la promotion du modèle inverse, avec Microsoft qui faisait les logiciels et divers manufacturiers qui s'occupaient du matériel. Devinez de quel côté de la clôture est le trophée présentement.
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• Revenons sur ce point : Microsoft deviendra elle-même un fabricant. Ce n'est pas la première fois. Outre les accessoires comme les souris et les claviers, elle l'est déjà pour la console de jeux vidéo Xbox et elle l'a déjà été pour le lecteur musical Zune. La première est un succès, le deuxième est mort de sa belle mort. À quelle version aura-t-on droit?
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• Les tablettes Surface seront lancées cet automne. Pour des raisons stratégiques, il était évident que Microsoft n'allait pas déjà dévoiler leurs prix. Sauf que, d'ici à ce qu'elle le fasse, toute tentative de prévision de leur éventuel succès est caduque. Depuis l'apparition de l'iPad, jamais n'a-t-on vu une tablette de qualité comparable être vendue moins cher, sauf quand RIM s'est mis à faire une vente de feu des caisses de Playbook avec lesquelles elle était coincée.
Grâce à une gestion très efficace de sa chaîne d'approvisionnement et de production, l'iPad est très difficile à concurrencer pour le prix. Or, au même prix, les consommateurs ont jusqu'ici démontré qu'ils ne se posaient pas la question trop longtemps et qu'ils choisissaient l'iPad. Microsoft arrivera-t-elle soit à modifier ce choix, soit à vendre moins cher?
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• De façon générale, la tablette est perçue comme le point milieu entre le téléphone intelligent et l'ordinateur. Chez Apple, le milieu tire un peu vers le côté du téléphone intelligent. L'iPad partage plus de similarités avec l'iPhone qu'avec les Mac, même si on observera un rapprochement avec la prochaine version du système d'exploitation des Mac, OS X Mountain Lion.
Chez Microsoft, le milieu tire nettement de l'autre côté. La tablette Surface est déjà comparée par Microsoft elle-même aux « ultrabooks », des ordinateurs portables ultralégers. En ce sens, je m'inquiéterais davantage de voir Microsoft débarquer dans ma cour si j'étais un fabricant d'ordinateurs PC que si j'étais Nokia, le partenaire de Microsoft pour les téléphones intelligents. Pour l'instant, du moins.
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• Difficile de critiquer la stratégie de Google avec Android compte tenu de la popularité de ce système d'exploitation mobile présentement. Mais quand même : Microsoft, l'incarnation même du modèle « je-fais-le-logiciel-et-vous-vous-occupez-du-matériel », Microsoft qui a littéralement bâti un empire avec ce modèle, vient de l'abandonner. Si ça ne mérite pas une pensée…