BLOGUE. C'est jeudi que les 13 « étonnés » ont officiellement dévoilé leur idée de plan numérique pour le Québec. L'approche pue le « pelletage de nuages » à plein nez, mais soulève quand même quelques points pertinents.
D'abord, précisons que le collectif n'a pas à proprement dit accouché lui-même d'un plan, ne faisant essentiellement qu'en dénoncer l'absence. Soulignons quand même leurs efforts pour préciser six demandes un peu plus concrètes.
Le groupe, formé de plusieurs « vétérans » de l'industrie numérique, se plaint de voir ses divers rapports et analyses « tablettés » depuis 20 ans. Malheureusement, on comprend un peu, à la lecture de leurs six demandes, pourquoi les gouvernements à qui ils s'adressent sont hésitants.
À lire : L'article de Valérie Lesage sur la demande d'un plan numérique
La première idée du groupe vise la création d'une « agence numérique » indépendante du gouvernement. On compare cette agence à Hydro-Québec. Une deuxième demande touche la création d'un « Conseil national du numérique », que l'on semble décrire comme une sorte de « conseil de sages » auquel le gouvernement devrait obligatoirement (le mot est d'eux) s'adresser avant de prendre une décision qui touche le numérique.
L'idée de créer de nouvelles structures gouvernementales ne fait pas l'unanimité, à la base. Certains ont déjà commencé à critiquer le projet sur cette base. Mais même en acceptant cette « structurite », quel serait le rôle exact de l'agence? La comparaison avec l'électricité et Hydro-Québec est très boiteuse.
Hydro gère des barrages, des lignes de transport, un réseau de distribution, elle a des revenus, des dépenses et un bénéfice net à la fin de l'année.
L'agence, elle? On ignore si les « étonnés » savent eux-mêmes exactement à quoi elle servirait, mais leurs communications à ce sujet sont pour le moins nébuleuses. On distingue difficilement les deux organismes qu'ils proposent. En fait, il est beaucoup plus difficile de comprendre leurs rôles que l'intérêt de certains des « étonnés » à en faire partie.
On saisit très bien qu'il puisse être pertinent pour l'appareil public d'avoir une sorte de centre d'expertise sur lequel s'appuyer pour certaines questions technologiques. Ce centre pourrait très bien vivre au sein du Conseil du Trésor ou du Centre des services partagés.
Le numérique et la comptabilité (page suivante)
Le numérique et la comptabilité
J'ai aussi de la difficulté, personnellement, à percevoir le numérique comme une sorte de produit fini qu'il faut traiter de façon regroupée dans un organisme dédié. Certes, il n'y a pas de ministère du Numérique, comme le déplorent les étonnés, mais il n'y a pas non plus de ministère de la Comptabilité. Or, je perçois davantage le numérique comme un service, comme une façon de faire autrement des choses que l'on faisait déjà, que comme un produit isolé.
Un livre numérique, par exemple, n'est pas une entité en soi. C'est un livre que l'on a adapté au format numérique. Cette distinction un brin simpliste s'applique à peu près à toutes les sphères du « numérique », tel que perçu par le groupe des 13. Et à cause de cela mieux vaut, selon moi, éviter de centraliser abusivement la gestion du numérique au sein d'une agence qui serait éloignée des préoccupations spécifiques à chaque ministère ou organisme public. Ce n'est pas comme s'il n'y avait que cinq, ou dix, ou vingt (ou treize…) personnes compétentes en numérique au Québec, par lesquelles toutes les décisions devaient passer.
Les 13 marquent des points quand ils parlent, par exemple, du fait que différents ministères mènent chacun de leur côté des projets qui auraient théoriquement intérêt à être regroupés. En entrevue, le doyen du groupe, Michel Cartier, parlait du dossier santé, du dossier de conducteur, du dossier d'étudiant et du « dossier de chasse et pêche », qui pourraient être regroupés, plutôt que faire l'objet de projets distincts.
Il faut toutefois comprendre qu'en pratique, il y a plusieurs obstacles légaux et techniques à cette belle théorie. Les innombrables difficultés rencontrées par le seul projet du dossier santé en font une belle démonstration. Sans compter les risques de sécurité liés au regroupement de toutes ces informations personnelles dans un même pot de miel.
Accès Internet haute vitesse pour tous (page suivante)
Accès Internet haute vitesse pour tous
Les « 13 étonnés » marquent aussi des points quand ils parlent de l'accès Internet en région, qui n'est souvent pas aussi disponible ou aussi « haute vitesse » que l'on pourrait l'imaginer depuis un appartement du Plateau-Mont-Royal.
Leur idée de déployer des réseaux à très haute vitesse publics qui seraient loués « en gros » à des fournisseurs privés qui pourraient ensuite en offrir l'accès au public mérite qu'on s'y attarde, à tout le moins pour ce qui est des régions éloignées, en commençant par en évaluer les coûts. On déterminera ensuite politiquement si Monsieur A, qui habite au centre-ville de Montréal ou de Québec, doit payer à même ses impôts un montant X pour que Monsieur B, qui habite au fond des bois, ait accès à Internet haute vitesse.
Ils sont pertinents quand ils abordent, beaucoup trop brièvement, la question du « recyclage » des travailleurs des secteurs en déclin de l'économie.
En revanche, leur rêve de voir l'éventuelle agence numérique ébaucher de grandes consultations publiques en utilisant le Web n'a nul besoin d'un grand plan pour devenir réalité. On procède déjà de la sorte à plusieurs niveaux. Le CRTC, par exemple, a invité tous les citoyens à lui soumettre par Internet (ou autrement) leur opinion sur le renouvellement des licences de Radio-Canada, dont il débat actuellement. Pour prendre un exemple québécois, libre à quiconque de fournir à la Régie de l'énergie son opinion sur les demandes de hausses de tarif d'Hydro-Québec. On devine qu'il en sera de même avec l'éventuel sommet sur l'éducation supérieure du gouvernement du Québec.
Les outils et plateformes nécessaires à ce genre d'exercices existent déjà et il n'y a absolument pas besoin d'un comité des sages pour les mettre sur pied.
Alors, un plan numérique, sur papier, c'est très beau, mais en pratique, ça servirait à quoi? Malheureusement, les 13 étonnés ont jusqu'ici failli à leur tâche de nous l'expliquer de façon compréhensible. D'ici à ce qu'ils y parviennent, ils ne devraient pas s'étonner de voir les gouvernements leur faire la sourde oreille.