BLOGUE. Vidéotron ne peut offrir l'iPhone parce que son réseau ne le supporte pas. Ça, c'est la vérité pure et dure. Mais ce n'est pas celle que le grand patron de Quebecor, Pierre Karl Péladeau, semble vouloir assumer.
Dans l'allocution qu'il a lue aux investisseurs lors de la téléconférence de la semaine dernière pour présenter les résultats financiers de son entreprise, M. Péladeau a de lui-même abordé le sujet de l'iPhone.
Il a d'abord expliqué que la croissance du nombre d'abonnés au sans-fil de Vidéotron avait été ralentie par l'absence du iPhone de sa gamme, ou plus particulièrement par la forte demande pour l'appareil, qui a incité les gens à aller voir ailleurs, là où il se trouve.
Précisons tout de suite que Vidéotron n'a aucun contrôle ni aucune responsabilité dans le fait qu'elle ne puisse offrir l'iPhone. Son réseau utilise une plage de fréquences connue sous l'acronyme « AWS ». Ce sont les seules qui étaient disponibles au moment où elle est entrée dans le marché. Et Apple ne fabrique pas de version de l'iPhone compatible avec ces fréquences.
Cela pourrait éventuellement changer. Quand un analyste lui a rappelé l'évidence que l’on semblait vouloir omettre, le président de Vidéotron, Robert Dépatie, a souligné que la nouvelle version de l'iPad était compatible avec les fréquences AWS, à condition que ce soit avec la norme LTE (que le réseau de Vidéotron n'utilise pas encore non plus). Elle est aussi compatible avec les fréquences dans la zone des 700 Mhz, celles qui seront mises à l'enchère au Canada dans le premier semestre de 2013. Un jour, donc, peut-être. Mais pas maintenant.
Sauf que plutôt que de simplement assumer ce fait, M. Péladeau semble vouloir y opposer son mantra habituel voulant que si ce n'est pas Quebecor, ce n'est pas bon.
L'homme d'affaires a donc choisi de s'en prendre au modèle d'affaires lié à l'iPhone.
« Même si nous aimerions offrir l'iPhone, nous devenons de plus en plus inquiets vis-à-vis des conditions économiques désavantageuses imposées aux opérateurs en raison du coût élevé de subvention de l'iPhone », a-t-il lu.
M. Péladeau cite une analyse de Moody's selon laquelle la popularité du iPhone remet en cause la capacité des opérateurs américains à générer des flux de trésorerie positifs à cause des subventions offertes aux consommateurs pour l'achat d'un iPhone.
J'ai trouvé l'analyse en question (elle n'est pas accessible gratuitement). Celle-ci s'inquiète effectivement de la capacité d'AT&T, Verizon et Sprint à dégager des flux de trésorerie positifs à cause des subventions aux iPhone, qu'elle estime à 450$ par appareil.
Dans mes recherches, je suis aussi tombé sur d'autres notes de Moody's tout aussi intéressantes. L'une d'entre elles, qui date d'il y a plus d'un an, j'en conviens, s'intitule « Verizon's iPhone Opportunity Comes at a Short-Term Cost, But Will Prove a Long-Term Windfall » (Pour Verizon, l'iPhone aura un coût à court terme, mais sera très bénéfique à long terme).
Une autre parle de Sprint et de sa cote de crédit. Elle date d'octobre. Moody's y parle du iPhone et de son impact sur la trésorerie de l'entreprise, mais précise qu'elle s'inquiète surtout de la concomitance de cet impact avec celui que représentent d'importants investissements dans son réseau.
Et on y trouve la phrase suivante: « Moody's estime que l'introduction de l'iPhone dans la gamme de Sprint résultera en une meilleure croissance, un plus faible taux de désabonnement (churn), et générera des bénéfices à long terme importants pour Sprint. »
Bref, tout n'est pas pas rose avec l'iPhone pour les opérateurs, mais tout n'est pas noir non plus.
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Vidéotron fait pareil!
L'autre aspect de l'hypocrisie, c'est que Vidéotron verse des subventions tout à fait comparables pour les appareils rivaux du iPhone qu'elle offre à ses abonnés.
Ainsi, le coût annoncé de la subvention pour un iPhone 4S chez Rogers est de 480$ (490$ pour la version 16 Go). Ce chiffre correspond à l'écart entre le prix sans et avec contrat de trois ans. Rappelons que Moody's l'évaluait à 450$ US.
Chez Vidéotron, les appareils de même nature font l'objet de subventions de 450$ (Galaxy Nexus), 470$ (HTC Amaze) et 490$ (BlackBerry Torch 9810), selon les mêmes critères. Cela me semble tout à fait comparable.
En fait, j'ose espérer que, dans le plan d'affaires de Vidéotron, l'espérance de profit au terme de trois années de contrat est plus élevée qu'une dizaine ou une vingtaine de dollars. Si ce n'est pas le cas, le problème s'applique alors manifestement à tout le segment des téléphones intelligents haut de gamme et pas simplement à l'iPhone.
C'est probablement le cas en fait. Manifestement, Vidéotron offre des téléphones haut de gamme parce qu'elle n'a « pas le choix », mais préfère en vendre des moins coûteux et plus rentables.
Sauf que le pouvoir d'attraction de l'iPhone demeure. Et l'importance de ce pouvoir d'attraction pour Vidéotron est d'autant plus grande quand on la place dans le contexte de la rivalité avec Bell. Les deux entreprises misent sur des offres groupées et tentent d'inciter leurs clients à s'abonner aux quatre services (téléphone, mobile, Internet et télévision) au même endroit.
On peut penser qu'une portion des clients qui ont boudé Vidéotron au dernier trimestre parce qu'ils voulaient un iPhone l'ont trouvé chez Bell et que, parmi ceux-ci, plusieurs en ont aussi profité ou en profiteront bientôt pour s'abonner à d'autres services de Bell, quitte peut-être à abandonner Vidéotron.
Que Vidéotron ne puisse offrir l'iPhone, soit. Qu'elle ne soit pas à l'aise avec le marché des téléphones haut de gamme dans son ensemble, soit, mais qu'on le précise tel quel. Qu'elle estime pouvoir atteindre ses objectifs sans lui, tant mieux. Mais s'il-vous-plaît, ne tentez pas de nous faire croire que c'est par choix qu'on ne le trouve pas dans vos magasins.