BLOGUE. La voie est ouverte pour le Royaume-Uni qui, fâché de se faire voler ses emplois dans le domaine du jeu vidéo par d'autres juridictions, en particulier le Québec, est sur le point de mettre en place un programme de crédits d'impôt aux entreprises de ce secteur.
La semaine dernière, l'Union européenne a donné son accord à la prolongation d'un crédit d'impôt de 20 % déjà accordé depuis 2008 par la France au secteur des jeux vidéo. Le Royaume-Uni, qui a inclus une mesure similaire dans son dernier budget, attendait cette autorisation de l'Union européenne pour procéder.
Les récriminations anglaises à l'endroit du Québec ne datent pas d'hier. Elles ont été exacerbées quand Eidos, l'un des fleurons de l'industrie anglaise, a ouvert un nouveau studio à Montréal et y a transféré quelques dizaines d'emplois, notamment dans le domaine de l'assurance-qualité. Cela a même incité le gouvernement anglais à demander en 2008 à l'Union européenne d'enquêter sur les pratiques canadiennes (québécoises, principalement), et au besoin de porter plainte à l'Organisation mondiale du commerce (OMC).
Cette idée a par la suite été abandonnée et l'industrie anglaise du jeu vidéo a changé de stratégie. Elle a opté pour le célèbre « If you can't beat them, join them » et demandé à bénéficier elle-même d'un crédit d'impôt du même genre.
Son implantation, après des années d'effort, pourrait raviver l'intérêt des éditeurs envers le Vieux-Continent.
« Le Royaume-Uni reste le centre névralgique de l'industrie du jeu vidéo en Europe », note Guillaume de Fondaumière, président de l'European Game Developers Federation (EGDF) et co-PDG du studio Quantic Dream, à Paris. Ce studio est à l'origine de l'excellent Heavy Rain, décoré de plusieurs récompenses à sa sortie, en 2010. Il avait menacé de déménager à Montréal si le programme français de crédits d'impôt n'était pas prolongé.
« Les Anglais ont vécu une situation comparable à la France, quand leurs principaux éditeurs ont commencé à aller s'installer ailleurs, dont à Montréal, explique M. de Fondaumière. Ce crédit d'impôt devrait encourager les grands groupes à rester en Europe, ce qui sera aussi bénéfique pour la France. Un seul pays en Europe n'est pas capable d'apporter toutes les solutions pour créer une industrie viable. »
Une telle déclaration peut étonner puisque, de l'aveu même de M. de Fondaumière, toutes ces solutions, impossibles à reproduire dans un seul pays européen, existent dans la seule île de Montréal.
« Montréal est un modèle évidemment exceptionnel, affirme-t-il. Vous disposez d'un gros avantage, celui d'être collé sur les États-Unis. Il a fallu investir des centaines de millions de dollars pour monter les formations et attirer des éditeurs. Mais le pari en a valu la peine. C'est aujourd'hui le premier pôle de création dans le monde, ça crée de l'emploi pour les jeunes. Vous nous posez un vrai challenge! »
Moins généreux
Fait à noter, les crédits européens sont encore beaucoup moins généreux que ce que l'on peut trouver au Québec, où les premiers programmes du genre ont été mis sur pied pour l'arrivée d'Ubisoft, en 1997.
« Il y a deux mesures fiscales en France, explique M. de Fondaumière. La première, commune à tous les domaines, touche la recherche et développement et rembourse 30 % des dépenses. La deuxième, spécifique au jeu vidéo, rembourse 20 % des salaires des employés affectés à la production du jeu, ainsi qu'une partie des frais liés aux activités de ces employés. »
Au Québec, c'est 37,5 % des salaires des employés affectés à la production qui sont remboursés. Certaines subventions pour la recherche et le développement sont aussi accessibles.
Les critères d'admissibilité sont aussi beaucoup plus stricts. Au Québec, tous les jeux se qualifient, à condition d'avoir une version française (le crédit est limité à 30 % dans le cas contraire). En France et en Angleterre, l'Union européenne exige que les jeux « répondent à des critères de qualité, d'originalité et de contribution à la diversité culturelle ». Les règles commerciales de l'UE n'autorisent en effet l'aide sectorielle que pour des exceptions culturelles. À peine 40 à 45 % des productions se qualifient, selon le président de l'EGDF.
L'aide est aussi plafonnée. Une seule entreprise ne peut recevoir plus de 3 millions d'euros (3,92 M$) par an et la bourse totale est limitée à 45 millions d'euros (58,94 M$), du moins pour le programme français.
À lui seul, le gouvernement du Québec estime avoir versé presque exactement le double (117 M$) par le biais du Programme de crédits d'impôt à la production de titres multimédias, en 2011. Il n'y a pas non plus ici de plafond par entreprise. En 2006, Ubisoft a reçu à elle seule un total de 48 M$ en subventions et crédits d'impôt des différents paliers de gouvernement canadiens, soit plus de 30 000$ par employé. Elle bénéficiait alors d'un programme de subventions plus généreux qu'actuellement.
Malgré tout, M. de Fondaumière estime que les programmes européens sont suffisants.
« 37,5 % contre 0 %, c'était impossible pour nous. Là, 37,5 % contre 22 ou 23 %, on pense que c'est tenable. On se pose la question deux fois avant de partir pour le Canada. Les crédits nous permettent de ne pas courir le marathon avec un sac à dos de 40 kilos sur les épaules. »
Le Québec a gagné
Selon lui, l'implantation du crédit en 2008 a atteint l'objectif de « freiner l'hémorragie » des éditeurs français.
« Les effectifs se sont stabilisés à environ 2500 personnes à l'échelle de la France, puis il y a eu une légère remontée. Ça doit tourner autour de 4000 ou 5000 personnes, présentement. »
Notons qu'Ubisoft, une entreprise française, emploi à elle seule environ 2400 personnes à Montréal et Québec présentement. Selon l'organisme TechnoCompétences, l'industrie du jeu vidéo employait environ 8000 personnes au Québec en 2011. Il y en aurait environ 16 000 dans l'ensemble du pays et 9000 au Royaume-Uni.
Les crédits d'impôt européens ne menacent pas ce bassin, selon M. de Fondaumière.
« Ce que le Canada a pris, il n'est plus à prendre. Le pari est gagné. Il n'est même plus nécessaire de faire du dumping fiscal pour attirer des entreprises chez vous. »