BLOGUE. Quatrième opérateur en importance sur le marché américain, T-Mobile s'apprête à tenter le grand coup. L'entreprise a annoncé qu'elle mettait fin à un système qui est à la base même du marché du téléphone mobile depuis des lunes, du moins en Amérique du Nord. Réussira-t-elle là ou même Apple a échoué?
En annonçant qu'elle commencerait enfin à offrir l'iPhone à ses clients au début 2013, T-Mobile a ajouté une bombe : elle cessera de subventionner les téléphones achetés par ses clients.
Ces subventions sont omniprésentes dans le marché mobile. L'iPhone 5 que vous achetez 180$ auprès de Bell, Rogers, Telus ou autre opérateur mobile coûterait 700$ si vous l'achetiez directement d'Apple, comme ces opérateurs doivent évidemment eux-mêmes le faire. Pour faciliter le calcul, supposons qu'Apple accorde un maigre rabais de volume de 20$ par appareil aux opérateurs canadiens (le vrai prix n'est pas public). Bell paie donc 680$ un appareil qu'elle vous vend 180$.
Ce n'est évidemment pas une bonne façon de rester en affaires longtemps. C'est pourquoi on vous oblige du même coup à signer un contrat de trois ans. Ainsi, une partie de la facture que vous acquittez chaque mois sert à rembourser cette « subvention » de 500$.
L'ennui, c'est que ce modèle met beaucoup de pression sur les finances des opérateurs, qui peinent de plus en plus à y trouver leur compte. C'est entre autres pourquoi T-Mobile veut le lancer par la fenêtre. On croit aussi que l'entreprise agit ainsi pour se démarquer de ses rivaux, d'un point de vue marketing.
La proposition de T-Mobile se résume ainsi : vous voulez un iPhone à 700$? Vous allez le payer 700$. En contrepartie, vous paierez moins cher chaque mois par la suite.
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Une bonne affaire… sur papier
Si on a bien compris l'annonce de T-Mobile, les forfaits offerts seront ceux qu'elle a baptisés ses « Value plans » et qu'elle offre déjà aux clients qui débarquent chez elle avec leur propre appareil.
Il est très complexe de comparer des forfaits mobiles, surtout si on essaie de comparer toute la gamme d'un opérateur à celle d'un autre, alors contentons-nous de cibler un forfait qui devrait convenir, ma foi, à une très large portion de la clientèle.
Pour 60$ (US, comme tous les prix qui vont suivre), T-Mobile proposera à ses clients les appels nationaux et les textos illimités. Elle offrira aussi des données illimitées, dont 2 Go à « haute vitesse ». Sur la période de deux ans que dure normalement un contrat aux États-Unis, le total est de 1440$. Voici un petit tableau présentant sommairement les offres concurrentes.
Fournisseur | Forfait | Prix mensuel | Coût total 2 ans | Économie T-Mobile (1440$) |
Verizon | Voix et textos illimités, 2 Go de données | 100$ | 2400$ | 960$ |
AT&T | Voix et textos illimités, 1 Go de données | 85$ | 2040$ | 600$ |
Sprint | 450 min de voix, textos et données illimités | 80$ | 1920$ | 480$ |
Un client qui sait compter devrait donc logiquement choisir l'option de T-Mobile dans la très grande majorité des cas. Même si son iPhone devait lui coûter 500$ de plus que chez Verizon, il finirait par économiser 460$ après deux ans. Il n'est même pas obligé de disposer de la somme nécessaire immédiatement, puisque T-Mobile a annoncé qu'elle permettrait de payer l'achat de son appareil en plusieurs versements. Notons que la subvention de l'iPhone est fort possiblement la plus élevée de tous les téléphones intelligents. L'économie serait donc encore plus grande avec d'autres appareils.
Et si, d'aventure, un client osait conserver le même appareil plus longtemps que deux ans, il épargnerait de 20$ à 40$ additionnels chaque mois.
L'ennui, c'est de savoir si les gens savent vraiment compter. S'ils vont accepter de débourser 700$ pour un appareil qu'on leur vend 200$ de l'autre côté de la rue. Le moins que l'on puisse dire, c'est qu'il y a des sceptiques dans la salle.
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« Un désastre »
L'un des plus grands sceptiques à s'être prononcé sur le sujet est Tracy Isacke, directeur de Telefonica Digital. Cet opérateur espagnol et son concurrent Vodafone ont eux aussi tenté, plus tôt cette année le coup de poker que s'apprête à essayer T-Mobile. Le résultat, décrit simplement : « Ça a été un désastre », aurait déclaré M. Isacke, dans une citation largement reprise, mais dont je ne suis pas parvenu à trouver l'origine.
Divers analystes financiers interrogés par Reuters ont eux aussi exprimé de grands doutes sur la viabilité du projet.
T-Mobile ne sera pas la première à s'attaquer à ce modèle aux États-Unis. Apple elle-même a tenté le coup lors du lancement du tout premier iPhone.
Alors disponible uniquement chez AT&T, cet iPhone se vendait 499$ (4 Go) ou 599$ (8 Go) lors de sa sortie, à la fin juin. Il n'avait fallu que deux mois pour qu'Apple soit forcée de corriger le tir. Dès le début septembre, Apple profitait de la sortie d'un modèle à 16 Go pour éliminer celui à 4 Go et réduire le prix de la version 8 Go de 200$.
Puis, un an plus tard, lors de la sortie de l'iPhone 3G, Apple abandonnait son projet de briser un moule solidement implanté dans la culture du consommateur américain et rentrait dans le rang. L'iPhone 3G se vendait 199$ (8 Go) ou 299$ (16 Go), avec des subventions. Les ventes ont explosé et le modèle d'affaires est resté sensiblement inchangé depuis.
Parions qu'il y aura beaucoup de curieux qui suivront les résultats obtenus par T-Mobile au cours des prochains mois, dont certains de ce côté-ci de la frontière.
Je reviendrai d'ailleurs demain sur les impacts canadiens possibles de ce projet.