BLOGUE. Bell, sa filiale à part entière RDS et les Canadiens de Montréal, dont elle est aussi actionnaire à 18%, ont officialisé lundi le lancement d'un nouveau « docu-réalité multiplateforme », intitulé 24CH. Intéressant en soi, le projet laisse néanmoins planer une menace importante pour les amateurs de sports.
Des équipes de production télévisuelle de RDS auront donc accès au vestiaire et autres lieux de travail ou de séjour des joueurs de l'équipe presque en tout temps, selon une formule très similaire à la très populaire série 24/7, diffusée au cours des deux dernières années par le réseau HBO en prélude à la Classique hivernale. L'édition de cette année a bien sûr été annulée, comme la Classique elle-même, en raison du lock-out.
Les séquences ainsi tournées seront diffusées de différentes façons.
Une série de sept épisodes (60 minutes pour le premier, 30 pour les suivants) seront diffusés de façon traditionnelle par RDS. Le premier le sera dès samedi prochain.
Une capsule de 60 secondes sera aussi rendue disponible avant chacun des 48 matchs de saison régulière de l'équipe. Cette capsule sera diffusée par le biais de l'application mobile officielle du Canadien, disponible sur les plateformes iOS, Android et BlackBerry. Elle sera d'abord réservée pendant 24 heures aux abonnés de Bell Mobilité, puis accessible à tous. On pourra aussi la regarder sur grand écran, à condition d'être un abonné du service Télé Fibe, de Bell, et d'utiliser l'application RDS Extra disponible sur cette plateforme.
Finalement, une troisième livraison se fera de façon hebdomadaire, chaque samedi, sur le site Internet du Canadien. Celle-ci sera accessible à tous.
Le problème potentiel, vous l'aurez deviné, concerne les capsules de 60 secondes pour lesquelles deux plateformes de Bell (mobile et télé) disposent d'une exclusivité.
Rappelons que le CRTC a déterminé en septembre 2011 que les conglomérats intégrés comme Bell ne pouvaient offrir des contenus télévisuels de façon exclusive sur leurs plateformes Internet ou mobiles. Le contenu sportif était justement à l'avant-plan dans cette décision.
Mais Bell n'enfreint pas cette règle. C'est que le contenu « produit pour la télévision », c'est-à-dire les émissions de 30 ou 60 minutes diffusées par RDS, sera aussi accessible si vous êtes abonné d'un concurrent de Bell, Vidéotron par exemple. Il suffit d'être abonné à RDS, ce qui est possible peu importe votre fournisseur de télévision.
En revanche, le CRTC a sciemment décidé de laisser ces entreprises offrir du contenu exclusif si celui-ci était produit spécifiquement pour les plateformes numériques, comme c'est le cas des capsules de 60 secondes.
Bref, l'exclusivité de 24 heures est tout à fait légale. Même qu'une exclusivité complète le serait. En fait, on devine en écoutant les différents intervenants dans le dossier que le Canadien a exercé une certaine pression pour que tous ses amateurs, peu importe leur fournisseur de services, aient éventuellement accès à ces capsules. Voilà qui témoigne du pouvoir de l'équipe, qui ne verse pas le moindre sou dans la production, mais obtient néanmoins le pouvoir de diffuser du contenu par le biais de son application mobile et de son site Web.
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Qu'arrivera-t-il quand il y aura une équipe à Québec?
Il n'y a donc pas pour l'instant de raison de se scandaliser. On peut très bien vivre avec l'obligation d'attendre 24 heures de plus pour voir une capsule sur les coulisses d'une équipe de hockey.
Il y a néanmoins là quelques traces d'une tendance qui pourrait être plus inquiétante à long terme. En particulier le jour où Québecor obtiendra son équipe de hockey à Québec, si ce jour doit éventuellement venir.
Selon toutes vraisemblances, contrairement à Bell, qui est minoritaire à la fois dans les Canadiens et les Maple Leafs, Québecor serait le propriétaire unique des Nordiques. Il n'y aura donc personne pour y défendre les intérêts des amateurs qui ne sont pas clients des autres services de Québecor.
Avec les Nordiques, TVA Sports et Vidéotron, Québecor serait en mesure de repiquer le modèle qui a mené à la production de la série 24CH, mais d'en restreindre beaucoup plus fermement l'accès à ses seuls abonnés (en présumant que Bell ne l'a pas elle-même fait d'ici là).
Dans quelle position se retrouverait donc l'amateur de hockey? Exactement dans celle que le CRTC veut éviter : l'obligation de s'abonner à des services redondants pour pouvoir bénéficier du contenu qui l'intéresse. Exemple type : devoir être abonné à Illico et à Bell Télé Fibe. Ou à Bell Mobilité et à Vidéotron mobile. Ou, encore pire, aux quatre.
Il faudrait être un satané amateur pour ainsi multiplier les abonnements, mais c'est néanmoins le dilemme devant lequel seraient placés les amateurs : payer en double ou être privés de leurs contenus préférés.
Vous direz qu'il restera toujours les émissions « principales », conçues pour la télévision et donc forcément disponibles partout, grâce aux règles du CRTC. C'est loin d'être évident. D'abord, vous pouvez parier que quelqu'un, quelque part, sera tenté de défier cette notion de « conçu pour la télévision ». Puis, si le modèle de revenus à la télévision, notamment les revenus publicitaires, devait continuer de s'étioler, c'est possiblement un jour sur mobile que seront diffusés les meilleurs contenus.
Profitez donc bien de cette série qui s'annonce par ailleurs très intéressante. Parce qu'il est loin d'être assuré que vous serez capables de le faire la prochaine fois.