BLOGUE. C'était écrit dans le ciel depuis au moins trois ans : Bell allait faire une grosse acquisition dans le domaine des communications au Québec. Sauf qu'à peu près tout le monde avait les yeux tournés sur V. C'est plutôt Astral que Bell a choisi.
Au Québec, on connaissait surtout le volet télécommunications de la bataille que se livrent Bell et Quebecor, celle-ci par le biais de Vidéotron.
Au cours de la dernière année, on a aussi appris à se familiariser avec le volet sportif. Bell est devenu l'un des propriétaires du Canadien au détriment de Quebecor. Puis, Bell aurait même tenté d'être l'entreprise qui gère l'amphithéâtre de Québec et, éventuellement, le propriétaire des Nordiques.
Bell est aussi propriétaire de RDS (et TSN), auquel Quebecor s'est attaqué en lançant TVA Sports.
Mais l'aspect plus généraliste et, surtout, l’aspect culturel étaient encore largement l'apanage de Quebecor, surtout par le biais de TVA, de ses journaux et de ses magazines.
Inévitablement, si elle voulait lutter à armes égales avec Quebecor, Bell devait devenir propriétaire à tout le moins de stations de télévision qui rejoindraient un plus large public que RDS seule (il y a CTV aussi, mais ses parts de marché au Québec sont minimes).
PAGE SUIVANTE: ASTRAL PLUTÔT QUE V
Astral plutôt que V
Il n'y a que quatre télés généralistes : TVA, Radio-Canada, Télé-Québec et V. La cible n'était pas difficile à identifier et tout le monde s'attendait à voir Bell débarquer dans les bureaux de V avant longtemps. Même les principaux intéressés, les frères Rémillard, s'attendaient à recevoir un appel un jour ou l'autre.
Semble-t-il que cet appel est finalement venu au cours des dernières semaines. Une rumeur a en effet commencé à courir vers la fin de la semaine dernière à l'effet que Bell allait finalement annoncer l'acquisition de V. Que s'est-il passé? Le nom de l'entreprise acquise a-t-il simplement été déformé comme dans le jeu du téléphone? A-t-on finalement préféré Astral au dernier instant? Ou est-ce qu'une acquisition de V est encore possible?
Certains croient à la troisième option. J'opte davantage pour la deuxième. Et si Bell a effectivement choisi Astral plutôt que V, on peut la comprendre.
D'abord, le prix beaucoup plus élevé d'Astral est presque accessoire, compte tenu de l'importance stratégique du geste et, surtout, du fait que Bell n'aura probablement qu'une seule chance. Il n'est déjà pas acquis que le CRTC et le Bureau de la concurrence lui laissent le champ libre avec Astral. Il serait encore plus difficile de faire approuver une deuxième acquisition par la suite.
Deuxièmement, Astral est très rentable, ce qui est toujours agréable. Troisièmement, même si elles sont morcelées, ses parts de marché sont plus élevées et portent Bell presque à la hauteur de Quebecor (32% contre 35%). Bell n'a peut-être pas le « gros gun » que représente TVA, mais elle a un arsenal presque aussi dommageable, plus flexible, plus diversifié et, surtout, en croissance.
Aussi, l'acquisition de V allait inévitablement soulever certains problèmes. Puisque la chaîne était en faillite au moment de son rachat, les frères Rémillard ont réussi à obtenir du CRTC une exemption qui réduit leurs obligations pour ce qui est de la production de nouvelles. Si Bell en était devenu propriétaire, cette exemption aurait rapidement été remise en question. Or, Bell n'a jamais manifesté un grand intérêt pour la production d'information, du moins au Québec.
Finalement, se peut-il que les propriétaires de V aient tout simplement, comme le veut l'expression, « poussé trop fort sur le crayon »? Peut-être que, convaincus de l'inévitabilité d'un achat par Bell, ils ont tenté d'obtenir un prix trop élevé. On ne le saura pas, ou du moins pas tout de suite.
PAGE SUIVANTE : BELL ARMÉ POUR NÉGOCIER
Bell armé pour négocier
Si la transaction reçoit les approbations nécessaires, Bell sera beaucoup mieux armée dans un secteur qui n'avait pas l'habitude de faire de vagues, mais qui a commencé à en faire récemment. Je parle de celui des négociations pour les redevances versées aux chaînes spécialisées (et bientôt aux télés généralistes) par les distributeurs comme Vidéotron et Bell Télé.
On a vu les deux empires se déchirer récemment autour de TVA Sports et RDS 2, qui n’ont été pendant un temps accessibles qu’aux abonnés de la filiale de télédistribution correspondante.
Avec tout le bouquet d'Astral entre les mains, le levier de Bell est devenu beaucoup plus fort. Et plus intéressant pour Bell, jusqu'à ce que TVA ne devienne payant ou que ses chaînes spécialisées ne gagnent beaucoup en popularité, le chèque qu'elle recevra chaque mois de Vidéotron sera beaucoup plus élevé que celui qu'elle émettra elle-même à TVA.
Et le CRTC?
Finalement, retenons de cette transaction que les fournisseurs de contenus continuent d'attirer les opérateurs de télécom, et ce, malgré la décision du CRTC qui restreint les exclusivités. À moins de trouver une façon de contourner ces règles, ou de les faire modifier, Bell ne pourra pas offrir les émissions d'Astral en exclusivité sur son service télévisuel ou ses appareils mobiles, par exemple.
Si Bell achète Astral, donc, c'est qu'elle juge qu'il y a de l'argent à faire autrement que par des exclusivités et la facture mensuelle de téléphone, ce qui est une bonne nouvelle.
Maintenant, au CRTC de déterminer si c'est une aussi bonne nouvelle que de laisser deux entreprises se partager la presque totalité du paysage culturel d'une province…