Le marché des francophones et francophiles en terre américaine représente un marché potentiel qui déborde largement les frontières de la belle province. Les entrepreneurs et les organisations d'ici gagnent à s'intéresser à ces millions de consommateurs dispersés sur le continent. En effet, ils sont souvent éduqués, polyglottes et à l'aise financièrement.
Clientèle dispersée et hétérogène, les francophones d'Amérique sont aujourd'hui plus facile à cibler qu'autrefois, grâce au Web et au progrès de la technologie numérique. " La distance et la petitesse des communautés disséminées sur le continent ne présente plus autant d'inconvénients qu'avant ", avance Richard Ouellet, directeur des programmes de l'Institut québécois des hautes études internationales de l'Université Laval, qui a organisé en juin une université d'été sur le thème de la francophonie des Amériques.
Le Centre de la francophonie des Amériques a comme mission de tisser des liens entre le Québec et les francophones d'Amérique. À titre d'exemple, l'organisme gouvernemental fondé en octobre 2008, dont le mandat va bien au-delà des enjeux économiques, participe aux congrès de l'Association des professeurs de français des États-Unis, laquelle regroupe près de 10 000 membres.
Un marché sous-estimé
" Les professeurs de français sont de grands consommateurs de livres. Ils s'approvisionnent en France. On participe à leur congrès avec des auteurs d'ici. On leur fait constater qu'il y a des auteurs qui écrivent en français en Amérique. C'est notre rôle d'ouvrir leurs horizons, explique Michel Robitaille, pdg sortant du Centre de la francophonie des Amériques, qui sera le délégué général du Québec à Paris à compter du 4 octobre.
Blaise Renaud, directeur commercial de Renaud-Bray, vise la clientèle hors Québec avec son centre de distribution d'une capacité de 200 000 livres, inauguré il y a un an. M. Renaud souligne que la fermeture successive des librairies françaises au Canada anglais et aux États-Unis créent une occasion d'affaires. Au printemps dernier, c'était au tour de la librairie multilingue de Vancouver, Sofia Books, propriété de Marc Fournier et de son épouse, de fermer boutique en raison du coût trop élevé du loyer.
Livre, musique, arts de la scène, logiciels, jeux vidéo et jeux en ligne, médias audiovisuels et écrits... Les industries culturelles du Québec se trouvent au premier rang de celles qui peuvent profiter du marché sous-estimé des francophones hors Québec. " Si on parle seulement de l'Amérique du Nord - un marché de 20 millions de francophones - et qu'on va chercher 1 % de ce groupe, on peut viser un tirage supérieur ou équivalent à celui de La Presse ", dit le journaliste Jean-Benoît Nadeau, coauteur avec Julie Barlow de l'essai La grande aventure de la langue française (Québec Amérique).
Parlant de quotidien, Le Devoir est l'un des rares médias québécois à avoir un site Web payant. D'après des statistiques fournies par l'institution de la rue Bleury, un visiteur unique sur cinq vient de l'extérieur du Québec, de même que 10 % des abonnés à la version électronique du journal. Autrement dit, le site tire une bonne partie de ses revenus de lecteurs qui vivent à l'extérieur de la province.
La clientèle des classes d'immersion
M. Nadeau, qui revient d'un séjour prolongé à Phoenix, en Arizona, souligne qu'il existe au Canada anglais et aux États-Unis un réseau de 50 lycées et collèges français, et que plus de 140 alliances françaises tapissent le territoire de l'Amérique du Nord. De plus, le Canada compte 2 000 classes d'immersion, pour un total de 300 000 élèves, de la maternelle à la 12e année.
" Pas un fonctionnaire du gouvernement du Québec ne prend sa valise pour aller voir ce monde en 9e, 10e ou 11e année et lui dire de venir à l'université au Québec ", se désole celui qui est blogueur pour L'Actualité.
Toutefois, l'Université Laval a créé une passerelle destinée à la clientèle des classes d'immersion intéressée à poursuivre son bain linguistique au Québec. Depuis un an, la Faculté des sciences de l'administration offre aux anglophones une année de préparation pendant laquelle ils peaufinent leurs connaissances de la langue française. Au besoin, la première année du baccalauréat en administration des affaires peut se dérouler entièrement en anglais.
" Les Canadiens francophiles vont devenir un de nos marchés prioritaires hors Québec ", affirme Normand Beaudry, responsable du recrutement d'étudiants étrangers à la Faculté des sciences de l'administration. Lors de la dernière finale de la Coupe Vanier au football universitaire, qui se tenait à Québec, Laval a diffusé une pub à la télé invitant les étudiants canadiens à devenir bilingues, tout en décrochant un bac en administration.
Cibler les réseaux pour un marketing de niche
Au-delà de la culture, le professeur de stratégie d'entreprise Yan Cimon, de l'Université Laval, voit un potentiel pour les produits haut de gamme fortement différenciés. " Il faut vendre plus cher pour compenser les petits volumes et les coûts de distribution physique ", fait-il remarquer.
En fait, peu importe l'industrie, le défi pour les organisations québécoises est de bâtir la notoriété de leur marque auprès de cette clientèle, poursuit l'universitaire.
Pour ce faire, le recours à un marketing de niche ciblant les réseaux dans lesquels évoluent les francophones est à privilégier, selon M. Cimon.
Dans le cadre de sa recherche pour La grande aventure de la langue française, Jean-Benoît Nadeau a découvert 900 associations aux États-Unis ayant le mot francophone, français ou francophile dans leur nom ou leur raison d'être. Ces regroupements ont pratiquement tous un site Web ou un bulletin d'information dans lequel se faire connaître ne coûte pas cher.
Les moteurs de recherche sur Internet permettent aussi un ciblage à un coût concurrentiel dans des régions métropolitaines où le nombre de francophones est notable. Les villes américaines les plus francophones sont New York, Boston, Chicago, Miami, San Francisco et Los Angeles, toutes des pôles universitaires. Les rares médias francophones, évidemment, mais aussi les médias underground, qui jouent un rôle influent malgré un tirage limité, sont aussi d'autres moyens pour mousser la notoriété de ses produits auprès des francophones d'Amérique.