L'histoire de Taylor, dont les neuf magasins sont établis en Montérégie et en Estrie, est si peu connue que plusieurs croient que cette entreprise provient des États-Unis. Pratiquement centenaire, elle est pourtant née au village de Saint-Lambert.
Depuis 1920, la sympathique rue Victoria, à Saint-Lambert, doit une grande partie de sa vitalité au grand magasin Taylor. Sur trois étages, le commerce, qui ne proposait à ses débuts que du tissu, a rapidement diversifié son offre à la demande des clients qui désiraient aussi s'y procurer des vêtements. Proposant encore de la mode féminine et masculine, Taylor fait partie de la vie des résidents du coin depuis plusieurs générations. «J'ai des clients qui viennent ici chaque jour. Même s'ils n'achètent pas, ils viennent voir leurs amis», raconte le président Robert Taylor, petit-fils du fondateur Joshua Taylor, un Irlandais qui importait du tissu.
Comme tout commerce né au début du siècle dernier, Taylor a connu son lot de difficultés. Dans son cas, les épreuves se sont présentées dès le départ. «C'est ma grand-mère qui devait s'occuper du commerce. Mais elle est tombée malade. Alors mon père Charles a quitté l'école pour faire le travail. Il était en 9e année.»
La Deuxième Guerre mondiale finit par éclater, rendant les approvisionnements difficiles. Charles Taylor, alors en poste sur la base militaire de Gander, à Terre-Neuve, trouve le moyen de revenir discrètement à Montréal pendant quelques jours pour convaincre ses fournisseurs de faire leur travail. Impressionnant dans son uniforme, il n'aurait pas eu trop de mal à y arriver...
Le ciel s'éclaircit après la guerre. Dès 1949, les affaires vont si bien qu'un deuxième étage est ajouté. Dix ans plus tard, les Taylor acquièrent même le cinéma voisin pour 125 000 $, ce qui équivaut aujourd'hui à un million de dollars.
Trop endetté
L'expansion commence en 1974, au rythme des ouvertures de centres commerciaux, un nouveau concept dans la province. Première destination : Granby. L'année suivante, Taylor s'installe au Mail Champlain, à Brossard, et à Saint-Bruno. «Dans le temps, nous étions très convoités par les centres commerciaux, parce que nous étions très connus sur la Rive-Sud. On a donc négocié de bonnes ententes. Les exigences en capitaux n'étaient pas élevées, les locateurs nous aidaient», se rappelle Robert Taylor, devenu président en 1972, après des études à McGill.
Les années 1980 sont profitables, et les ouvertures se multiplient. L'homme d'affaires achète 15 magasins en faillite, qui lui coûtent «une fortune». Arrivent les années 1990, la TPS, la récession et la parité du dollar qui encourage les achats aux États-Unis. Taylor ferme tous ses magasins sur l'île de Montréal (Anjou, Pointe-Claire, Centre Rockland) et celui de Laval. «Nous étions trop endettés. Je voulais repartir à neuf, sur de nouvelles bases.»
Malgré la longue expérience des magasins Taylor, survivre demeure un défi quotidien, admet son président. «Notre clientèle de base est mature, et une fois à la retraite, elle dépense moins. Depuis 10 ans, nous ouvrons nos portes à des marques plus jeunes. Nous offrons des collections qu'on ne retrouve pas partout.» Ces marques, qui visent les 35 à 55 ans, génèrent 50 % des ventes. Le magasin s'est aussi adapté à l'érosion de la clientèle anglophone (15 % de l'achalandage).
Mais à 65 ans, Robert Taylor n'est pas au bout de ses peines.
Une foule de défis
La concurrence accrue des détaillants américains se fait sentir. Elle a notamment pour effet de faire augmenter les loyers des centres commerciaux, déplore-t-il. En outre, la morosité économique a fait mourir plusieurs fournisseurs, ce qui force Taylor à composer avec «une inconfortable concentration des achats». C'est sans parler du Quartier Dix30, à Brossard, qui a fait bondir le niveau de concurrence sur la Rive-Sud, et de la grande prudence des consommateurs.
«Ce n'est pas facile ces temps-ci de faire croître nos ventes. Il faut réduire les dépenses le plus possible. Je n'ai pas de plan d'expansion, parce que je ne veux pas être trop endetté. J'espère être encore là en 2020 [pour célébrer notre 100e anniversaire], mais l'avenir est incertain.»
La Baie, qui reprend du poil de la bête depuis l'entrée en fonction de sa nouvelle présidente, Bonnie Brooks, amplifie l'intensité de la concurrence, et l'arrivée imminente de Target ne fera qu'empirer la situation, selon Robert Taylor. «Ça va me toucher, parce qu'ils vendent de la mode. Beaucoup de produits sont abordables, mais la qualité est bonne. Ils vont concurrencer tout le monde.»
«Je suis réaliste. Il y aura assurément beaucoup de fermetures. Et de la consolidation dans le marché. Dans 10 ans, nos centres commerciaux seront pareils à ceux des États-Unis. Leurs propriétaires cherchent sans cesse de nouveaux détaillants. Imaginez : les plus rentables, comme Nordstrom, Bloomingdales, Buckle, Casual Male et Pottery Barn, ne sont même pas encore ici !»
LES TRUCS DE TAYLOR
- Ne pas dépenser en publicité si l'impact prévu est minime
- Renégocier les baux avant la récession
- Limiter l'endettement en réduisant les dépenses au maximum
- Miser sur la qualité du service
- Bien ajuster les heures de travail des employés sur le plancher en fonction de l'achalandage
- Téléphoner aux clients pour les informer des nouveaux arrivages