À la même adresse depuis 1867, Laliberté demeure un pilier du quartier Saint-Roch à Québec. Reconnu pour ses manteaux de fourrure pendant 75 ans, le magasin réussit aujourd'hui à attirer les jeunes professionnels - hommes et femmes - qui travaillent dans le secteur, avec ses vêtements européens et modernes. Autopsie d'une profonde transformation.
Paquet, Pollack, Syndicat de Québec, Laliberté... Il fut un temps où la Basse-Ville de Québec était une destination incontournable avec ses quatre grands magasins. Il n'en reste plus qu'un seul. Mais il est bien vivant, grâce au flair de l'homme d'affaires François Morisset, qui a acquis l'entreprise dans les années 1950, et de ses enfants et petits-enfants.
«La philosophie de mon père, Jacques [fils de François], c'était de ne rien devoir à personne. Il voulait être le seul maître à bord. Ne pas donner d'argent à des locateurs, car ici, l'immeuble est payé», relate Lucie Morisset, vice-présidente de Laliberté et témoin de l'histoire du commerce depuis plus de cinq décennies.
Voilà pourquoi Laliberté n'a toujours eu qu'un seul point de vente. Malgré l'insistance des propriétaires de centres commerciaux pendant 25 ans, le détaillant a toujours refusé de prendre de l'expansion.
Cette stratégie a fortement contribué à sa survie, soutient Mme Morisset. Elle rappelle que ses trois grands concurrents d'autrefois ont ouvert des succursales dans les centres commerciaux, avant de disparaître.
«Mon grand-père disait toujours qu'on allait vivre des miettes des grands.» Le problème, c'est que la fermeture des concurrents (Pollack, en 1978, Paquet et Syndicat de Québec, en 1981) a laissé bien peu de «miettes», car la disparition de ces commerces a entraîné une forte baisse de l'achalandage du quartier. Comble de malheur, c'était aussi l'époque où la popularité des centres commerciaux montait en flèche, au détriment des artères commerciales.
Laliberté trouve tout de même le moyen de rester présent dans l'esprit des clients. Au lieu de laisser dormir dans un coffre-fort les montants économisés en loyer, on les investit en publicité. «Nous avons été le premier annonceur à Télé-4 (devenue TVA), rappelle Lucie Morisset. On annonçait massivement et partout, à Radio-Canada, dans Le Soleil, à la radio.»
L'effet Brigitte Bardot
La décennie suivante n'est pas plus rose. La TPS vient «ajouter 500 $ au prix des manteaux de fourrure», Brigitte Bardot milite contre la fourrure, la récession éclate, la fonction publique subit d'importantes compressions de personnel et «Saint-Roch a l'air de Sarajevo bombardée».
Il faut procéder à une restructuration majeure pour assurer la survie de l'entreprise déjà plus que centenaire. Laliberté élimine plusieurs catégories. Exit les articles de décoration, puisque «Costco vendait les serviettes à mon coûtant», le parfum, les bijoux et les chaussures. Seuls les vêtements, les fourrures (5 % des ventes) et la lingerie sont conservés. Une centaine de personnes sont mises à pied et cinq étages sont fermés.
Tandis que le maire L'Allier veut faire renaître le quartier, Laliberté décide de convertir ses locaux vacants en 51 lofts, offerts en location. Ce sont autant de loyers récurrents qui assurent une stabilité financière.
Lucie Morisset, qui veille sur l'héritage familial avec son frère Jean-François, est heureuse de la tournure des événements. Revitalisé, le quartier attire aujourd'hui les touristes, et les travailleurs du Centre national des nouvelles technologies sont nombreux à y faire leurs emplettes le midi. Depuis 2006, les ventes du magasin ne cessent d'augmenter. «On ratisse large, parce qu'on est une vieille maison. On attire encore nos fidèles et on développe une clientèle plus jeune. On est comme un mini Simons.»