Figurant parmi les 25 personnalités les plus intrigantes du monde des médias, Christine Osekoski est éditrice du magazine Fast Company depuis août 2007. Sous sa direction, Fast Company est devenue une véritable marque déclinée sur plusieurs plateformes. Je l'ai rencontrée à New York.
DIANE BÉRARD - Qui sont les lecteurs de Fast Company ?
CHRISTINE OSEKOSKI - Ce sont des cadres supérieurs ou des entrepreneurs. Leur âge médian est de 40 ans.
D.B. - Fast Company est un magazine «aspirationnel». Qu'est-ce que ça signifie ?
C.O. - Ceux qui le lisent veulent aller plus loin, ils se voient ailleurs. Au travail, et même dans leur vie personnelle, ils prennent davantage de risques que la moyenne. Ce qui nous permet d'oser nous aussi.
D.B. - Depuis votre arrivée, en août 2007, vous avez transformé ce magazine au point d'en doubler les revenus. Comment vous y êtes-vous prise ?
C.0. - Nous avons mis une étiquette sur ce que nous faisions de manière informelle. Nous nous sommes donné une véritable personnalité. Fast Company parle de créativité. Pas seulement de produits et de services créatifs, mais de la créativité sous toutes ses formes. En fait, nous nous intéressons au processus créatif. Nous parlons du courage que réclame la créativité. Un positionnement qui rejoint tout à fait nos lecteurs cibles, qui aspirent eux-mêmes à se distinguer par leur créativité.
D.B. - Vos lecteurs travaillent-ils tous pour de petites sociétés avec une table de billard dans la salle de réunion ?
C.O. - (Rires) Grands dieux non ! C'est justement ce que nous voulions éviter, pour ne pas restreindre notre portée. Notre magazine démocratise la créativité. On trouve des personnes très créatives à l'intérieur de grandes organisations aussi bien que dans de plus petites. De plus, les secteurs plus conservateurs ont eux aussi besoin d'idées créatives. Bob [Safian], notre rédacteur en chef, dit toujours que «nous ne parlons pas uniquement des compagnies «rapides». Nous nous intéressons aussi aux divisions rapides au sein des compagnies «lentes»». Notre défi consiste à aider nos lecteurs à repousser les barrières qui les empêchent d'oser, peu importe l'entreprise pour laquelle ils travaillent.
Plusieurs publications d'affaires offrent des conseils à leurs lecteurs. Vous ne croyez pas à cette formule. Pourquoi ?
D.B. - Plusieurs publications d'affaires offrent des conseils à leurs lecteurs. Vous ne croyez pas à cette formule. Pourquoi ?
C.O. - Nous n'allons tout de même pas parler de créativité en utilisant les mêmes recettes que tout le monde. Donner des conseils, expliquer les trois étapes pour implanter ceci ou développer cela, c'est franchement ennuyant ! Les recettes, c'est une formule éculée. Nous sommes à l'ère des narrations (storytelling). La meilleure façon d'inspirer quelqu'un consiste à lui raconter le chemin parcouru par un de ses pairs ou par quelqu'un a qui il désire ressembler. On se souvient des histoires, pas des statistiques ni des recettes.
D.B. - Mettez-vous en pratique ce que vous prêchez dans votre publication ?
C.O. - Notre magazine parle d'innovation, de design, de développement durable. Il est évident que notre produit doit le refléter. Nous devons respecter une certaine qualité de papier, soigner la mise en page, celle du magazine papier autant que celle de notre site. Notre contenu et notre contenant doivent être cohérents, sinon notre marque ne sera pas crédible.
D.B. - Votre marque a évolué du papier au Web, pour ajouter ensuite des événements. Parlez-nous de ces rendez-vous particuliers auxquels vous conviez vos lecteurs.
C.O. - Il y a trois ans, nous avons créé la série «Innovation Uncensored», qui consiste en deux événements d'une journée, l'un à New York et l'autre à San Francisco. Les conférenciers sont aussi divers que Reid Hoffman, capital-risqueur et cofondateur de LinkedIn, David Cush, pdg de Virgin America, et John Maeda, président de la Rhode Island School of Design. Ces conférences respectent l'esprit Fast Company, qui se trouve à la croisée des affaires, du design et de la culture. Nous accueillons entre 400 et 500 participants par événement. Ils sont à l'image de notre lectorat : on y côtoie les rock stars des entreprises, ceux qui prennent beaucoup de place et déplacent beaucoup d'air, mais aussi nos lecteurs plus timides et probablement tout aussi créatifs. Et ils se mélangent très bien !
D.B. - Lors d'une de ces conférences, il vous a fallu repousser les frontières de votre propre créativité. Que s'est-il passé ?
C.O. - La session portait sur les médias sociaux, et notre conférencier n'a pas pu se présenter. La salle était bondée et tout le monde attendait. Nous avons procédé en sous-traitant à la foule (crowdsourcing) pour chercher un remplaçant et avons utilisé Twitter. Le directeur des médias sociaux de Pepsi, qui se trouvait dans la salle, a répondu à notre appel. Quelques secondes plus tard, il était sur la scène. Sa conférence fut très appréciée.
D.B. - Le prochain événement auquel collabore Fast Company se tiendra à Montréal, en mai. Pourquoi Montréal ?
C.0. - Il y a longtemps que notre magazine a reconnu que Montréal était une ville créative. En réunion éditoriale, le nom de votre ville revient souvent. Votre créativité tient à la combinaison du yin et du yang, à la dichotomie anglais/français, Europe/Amérique. C'est comme si les Montréalais se donnaient le droit d'être parfois l'un, parfois l'autre, et parfois les deux à la fois ! Peu de villes affichent une telle combinaison. Dans cet esprit, contribuer à l'événement C2-Mtl [C2 pour commerce et créativité, c'est-à-dire recourir à la créativité pour résoudre des problèmes du monde des affaires] s'inscrit parfaitement dans la mission de notre magazine.
En quoi consiste votre participation à C2-MTL ?
D.B. - En quoi consiste votre participation à C2-MTL ?
C.O. - Nous fournissons le contenu, c'est-à-dire les conférenciers. Ceux-ci sont puisés à partir de nos listes de personnalités les plus créatives. On retrouve des gens comme le réalisateur Francis Ford Coppola, Patrick Pichette, chef de la direction financière de Google, Arianna Huffington, créatrice du site Huffington Post [dont la version québécoise doit être lancée début février] et Michael Eisner, ex-pdg du Groupe Walt Disney.
D.B. - À quoi faut-il s'attendre ?
C.O. - C2-MTL sera à l'image du thème et de nos événements «Innovation Uncensored» : beaucoup de préparation, un contenu riche, mais aussi des moments spontanés, imprévus. On ne peut pas organiser un événement sur la créativité et refuser le risque. Pour que la magie opère, il faut lui laisser de la place. Ce sera à nous, les organisateurs, de gérer le stress !
LE CONTEXTE
L'univers des médias est en transformation, chaque groupe de presse cherche le prochain modèle d'affaires rentable. Fast Company appartient au groupe des acteurs audacieux qui foncent malgré l'incertitude.
SAVIEZ-VOUS QUE...
En juin 2005, Joe Mansueto, fondateur de Morningstar, une firme de recherche sur les fonds communs de placement et les actions, a payé 35 millions de dollars pour acquérir les magazines Fast Company et Inc.