Si certaines sociétés pharmaceutiques tentent d'optimiser leur fiscalité par une fusion à l'étranger, Novartis et Novo Nordisk font plutôt le choix de peaufiner leur modèle d'entreprise respectif, dans l'espoir de créer davantage de richesse pour leurs actionnaires.
Élaguer pour mieux innover
Novartis (NY, NVS, 92,42 $ US) - Sa spécialité : la lutte contre le cancer
Qui aurait pu prévoir jadis une capitalisation boursière de 223 milliards de dollars américains pour Novartis ? Son histoire est marquée par une multitude d'acquisitions judicieuses et de partenariats stratégiques réussis. La société Geigy, dont les origines remontent au milieu du 18e siècle, et la société Ciba, fondée en 1859, fusionnent en 1970. Vingt-six ans plus tard, l'entité Ciba-Geigy fusionne à son tour avec une autre pharmaceutique ayant son siège social en Suisse depuis 1886 : Sandoz, qui exploite aujourd'hui des installations à Boucherville. C'est ainsi que Novartis, telle qu'on la connaît aujourd'hui, amorce ses activités en décembre 1996.
«Ce géant possède trois moteurs de croissance principaux : le secteur pharmaceutique traditionnel, la division Alcon acquise en 2011, qui se consacre aux soins oculaires, et la division générique Sandoz. Ces trois secteurs représentaient respectivement 56 %, 18 % et 16 % des ventes du groupe au 31 décembre 2013», explique Mario Zaccardelli, gestionnaire de portefeuille pour Lombard Odier. L'entreprise détient également près de 33 % du capital-actions de la société Roche Holding - fort rentable elle aussi - et offre ainsi une saine diversification des revenus qui plaît aux investisseurs. «Puisqu'elle opère dans plusieurs secteurs d'activité, Novartis bénéficie d'une meilleure stabilité de ses bénéfices que des concurrents plus spécialisés», souligne Damien Conover, de Morningstar.
Novartis mise sur un réseau de distribution bien implanté et sur un portefeuille de produits très diversifié. Depuis une dizaine d'années, l'entreprise a commercialisé 20 nouveaux médicaments pour combattre plusieurs maladies graves, y compris le cancer - sa niche, qui procure de fortes marges bénéficiaires -, les maladies cardiovasculaires, l'Alzheimer et l'ostéoporose. Le médicament vedette Gleevec est d'ailleurs la vache à lait de Novartis dans le domaine de l'oncologie. Ce produit a généré des revenus de 4,69 G$ US durant l'exercice 2013, soit près de 15 % des ventes de la seule division pharmaceutique lors de cette même période.
Les essais cliniques du produit expérimental LCZ696 destiné aux patients qui souffrent d'insuffisance cardiaque chronique sont également prometteurs. «Les ventes pourraient atteindre les 6 G$ annuellement», estime Damien Conover, de Morningstar. Même son de cloche du côté de Stephan Patten, gestionnaire de portefeuille pour la firme montréalaise Sectoral Asset Management. «Ce médicament pourrait être le prochain médicament vedette de Novartis lorsqu'il sera lancé l'année prochaine», souligne l'expert dans sa plus récente infolettre.
Ces succès suppléent à la perte du brevet du Diovan, utilisé dans le traitement contre l'hypertension. Ce dernier représentait près de 11 % des ventes de la division pharmaceutique au 31 décembre 2013 et subit désormais la concurrence du médicament générique Ran-Valsartan, du géant indien Ranbaxy. Et c'est sans compter la perte éventuelle du brevet de Gleevec en 2016 !
Un remaniement de 29 G$
En avril dernier, la direction a procédé à une importante réorganisation dans l'objectif de miser sur ses meilleures occasions de croissance. La division de santé animale a ainsi été cédée à Eli Lilly and Company (NY, LLY, 67,30 $ US) pour 5,4 G$ US. Le portefeuille de vaccins a pour sa part été cédé à à GlaxoSmithKline (NY, GSK, 45,29 $ US) - exception faite de celui contre la grippe -, en contrepartie d'une somme de 7,1 G$ US. Au même moment, Novartis a annoncé débourser à GSK un maximum de 16 G$ US pour des actifs dans le domaine de l'oncologie, «ce qui représente un multiple très élevé de 10 fois les ventes prévues pour cette division», ajoute M. Conover. Finalement, le 26 octobre, Novartis a annoncé avoir cédé à CSL Limited ses activités dans le secteur des vaccins antigrippaux en échange d'une somme de 274 millions de dollars américains.
Le 28 octobre, l'entreprise a présenté de forts résultats pour son troisième trimestre, enregistrant un bénéfice par action de 1,37 $ US, supérieur aux attentes de 1,32 $ US des analystes. Les ventes du Diovan - charcutées de moitié par rapport à la même période l'an dernier - ont été compensées par celles du Gilenya (+ 27 %, sclérose en plaques), d'Afinitor (+ 22 %, cancer du sein avancé) et du Tasigna (+ 25 %, leucémie) lors des 12 derniers mois complétés en septembre.
Damien Conover maintient la juste valeur marchande du titre à 91 $ US. «Nous croyons que le marché reconnaît bien le potentiel des produits en développement qui compensent les pertes de brevets majeures qui surviendront d'ici deux ans», dit-il. Mario Zaccardelli entrevoit de son côté un potentiel de hausse intéressant compte tenu du cours actuel d'environ 92 $ US. «C'est le genre de titre qui peut constituer le coeur d'un portefeuille. Et le généreux dividende permet aux investisseurs de patienter», conclut-il.
Ratio cours/bénéfice (2015) : 15,5 X
Bénéfice prévu par action (2015) : 5,75 $ US
Croissance prévue du bénéfice par action : + 10,4 %
Dividende annuel (2014) : 2,72 $ US (3,00 %)
Revenus : 58,4 G$ US (2014), 56,4 G$ US (2015)
Croissance prévue des revenus : - 3,4 %
Cours cible moyen des analystes : 102,28 $ US
Nombre total d'employés (2013) : 135 696
Concentrée sur sa principale expertise
Novo Nordisk (NY, NVO, 43,86 $ US) - Sa spécialité : la maîtrise du diabète
Deux petites entreprises danoises, Nordisk Insulinlaboratorium et Novo Terapeutisk Laboratorium, respectivement fondées en 1923 et 1925, se livraient une vive concurrence dans la production de l'insuline nécessaire au traitement du diabète. Elles ont finalement décidé de s'unir en 1989 pour créer Novo Nordisk, une société qui s'est élargie depuis dans les domaines de l'hémophilie et de l'hormonothérapie. «Sa niche demeure cependant le diabète, dont le nombre de cas ne cesse d'augmenter dans le monde en raison du vieillissement de la population, d'un mode de vie sédentaire et de l'embonpoint», explique Mario Zaccardelli, gestionnaire de portefeuille pour Lombard Odier. La panoplie de médicaments proposée pour maîtriser la maladie demeure donc le véritable fer de lance de cette société pharmaceutique qui pèse 115 milliards de dollars américains en Bourse.
Deux de ceux-ci, le Novo Levemir et le NovoLog, se targuent d'offrir une meilleure efficacité et une plus grande sécurité pour le patient que plusieurs médicaments concurrents ; cette valeur ajoutée permet en outre à la société de fixer un prix plus élevé. Par contre, d'autres produits ayant obtenu le feu vert à une éventuelle commercialisation, comme le Tresiba (diabète de type 1 et 2), le Ryzodeg (diabète de type 1 et 2) et le Xultophy (diabète de type 2 seulement) ne seront pas offerts aux États-Unis avant 2016, laissant ainsi la voie libre au géant français Sanofi (NY, SNY, 45,98 $) et à son produit phare Lantus. Ce dernier est à l'origine de ventes totalisant 5,72 G$ US en 2013 et est vendu dans plus de 120 pays partout dans le monde. D'ailleurs, preuve de la forte concurrence qui prévaut dans ce créneau, la perte du brevet de Lantus par Sanofi en février 2015 est déjà habilement planifiée par ses stratèges, avec le lancement du médicament Toujeo, réputé plus efficace.
Sanofi, qui vient de remercier son pdg Chris Viehbacher, en poste depuis 2008, a averti le 28 octobre dernier que son portefeuille de produits contre le diabète subissait des pressions baissières sur les prix aux États-Unis. Les deux autres acteurs majeurs du secteur, Eli Lilly et Novo Nordisk, seront probablement dans l'obligation d'accorder des rabais significatifs en 2015 pour conserver leurs parts de marché actuelles. La première a d'ailleurs vu son médicament Trulicity être autorisé le 14 septembre dernier et vient ainsi jouer dans les platebandes de Victoza, de Novo Nordisk, dans la lutte contre le diabète de type 2.
La ruée vers l'innovation
La découverte éventuelle par un concurrent d'une nouvelle façon d'administrer le traitement pour maîtriser le diabète est un risque important en soi pour Novo Nordisk. «Un comprimé unique quotidien, par exemple, au lieu d'une injection», suggère Mario Zaccardelli. Pfizer (NY, PFE, 30,01 $ US) s'est déjà cassée les dents, il y a quelques années, avec le produit Exubera, censé offrir aux diabétiques une solution de rechange aux injections d'insuline. Avec ce produit, les patients pouvaient absorber l'insuline par la bouche sous forme de poudre au lieu de l'injecter dans l'organisme à l'aide d'une aiguille. Des cas de cancer du poumon associés à la prise du médicament et des ventes minimes ont forcé la société à inscrire une charge financière de 2,8 G$ US à ses livres pour radier l'actif et abandonner définitivement cette activité.
Sanofi est repassée à l'offensive sur ce plan en 2014. Elle a signé un accord de licence exclusive et mondiale avec la pharmaceutique MannKind (Nasdaq, MNKD, 6,13 $ US) pour le développement et la commercialisation du médicament homologué Afrezza, une nouvelle insuline à inhaler, à action rapide, pour le traitement des diabètes de types 1 et 2 chez l'adulte. Les deux partenaires espèrent lancer le produit durant le premier trimestre de 2015 aux États-Unis.
Allocation exemplaire du capital
De l'avis de Karen Andersen, analyste chez Morningstar, «une exécution exceptionnelle de la direction a contribué à la surperformance du titre de Novo Nordisk comparativement à ses concurrents dans la dernière décennie». Elle considère même la rémunération des hauts dirigeants de l'entreprise comme étant très raisonnable, surtout lorsqu'on la compare à ce qui prévaut dans certaines firmes comme Eli Lilly (NY, LLY, 66,05 $ US), par exemple. Un détail tracasse l'analyste cependant :
«Nous avons des préoccupations au sujet de l'indépendance du conseil d'administration, ou plutôt du manque apparent d'indépendance de celui-ci», dit-elle. C'est que seulement quatre des onze membres du conseil sont considérés comme étant indépendants : trois autres sont élus par l'organisme Novo Nordisk Foundation et les quatre autres sont choisis par les employés de l'entreprise, comme le requièrent les lois danoises. «La catégorie "A" des titres de l'entreprise est contrôlée exclusivement par la fondation en question et elle véhicule 10 fois le droit des votes de la catégorie "B"», ajoute l'analyste, qui se dit néanmoins rassurée par l'impressionnante feuille de route de Novo Nordisk lorsque vient le moment de créer de la valeur pour les actionnaires.
Mario Zaccardelli considère qu'il s'agit d'une société de grande qualité. Il y voit plusieurs points positifs. «Novo Nordisk est bien gérée, ses dirigeants font preuve de vision à long terme et elle est libre de dette. La croissance interne est soutenue, de 7 % à 10 % par année», énumère-t-il. Le gestionnaire attend depuis longtemps un meilleur point d'entrée, «qui ne vient pas», dit-il. Le titre semble effectivement relativement coûteux. «Novo Nordisk est à plus de 20 fois les flux de trésorerie prévus ; la qualité a évidemment un prix», conclut-il. Karen Andersen évalue de son côté que les soins liés au diabète représenteront 87 % des ventes totales de Novo Nordisk dans 10 ans. Son cours cible de 46 $ US a été atteint le 30 octobre dernier, suivant un bond de 6 % du titre après la présentation des résultats financiers du troisième trimestre. Sans égard au taux de change, le marché saluait ainsi l'augmentation des ventes mondiales de 8 % comparativement aux neuf premiers mois de l'année 2013, et la bonne tenue du Victoza (+ 15 %) et du Levemir (+ 29 %) pour cette même période.
Ratio cours/bénéfice (2015) : 23 X
Bénéfice prévu par action (2015) : 2,04 $ US
Croissance du bénéfice par action : + 13,9 %
Dividende annuel (2014) : 0,83 $ US (1,80 %)
Revenus : 15,4 G$ US (2014), 16,97 G$ US (2015)
Croissance prévue des revenus : + 10,2 %
Cours cible moyen des analystes : 49,37 $ US
Nombre total d'employés (2013) : 40 000
375 millions: Nombre de patients diabétiques dans le monde. Source : Bernstein Research