HELSINKI - De nouvelles idées sur le leadership et le management voient le jour en Finlande. Là-bas, plusieurs osent bousculer les a priori, pour leur plus grand bénéfice. Inspirant!
ÉLEVER SES EMPLOYÉS TOUJOURS PLUS HAUT
Où les Finlandais rêvent-ils de travailler ? Chez le fabricant de cellulaires Nokia ? Chez Rovio, le concepteur du jeu Angry Birds ? Pas du tout. Ils adoreraient évoluer chez Kone, un fabricant d'ascenseurs et d'escaliers roulants, d'après un récent sondage de Talentum Media.
Pourquoi Kone ? Tout simplement parce qu'on s'y soucie réellement des employés. Le programme Bien-Être est accessible à tous, offre un suivi médical et psychologique, une invitation à faire du sport pendant les heures de travail, du coaching en nutrition, etc. Tout est mis en oeuvre pour aider chacun à développer ses compétences : encouragement à prendre des responsabilités, formations, etc. « Il y a un running gag chez nous : Fais attention à ce que tu dis quand tu souhaites quelque chose, car ça va t'être vite accordé ! C'est comme ça qu'une collègue a été mutée dans nos bureaux en Chine avant d'avoir eu le temps de dire ouf », ricane Liisa Kivelä, directrice des communications.
« Nous usons de trois clés pour susciter l'engagement de nos quelque 35 000 employés répartis dans 50 pays, dont le Canada », explique Susanne Skippari, chef de la gestion des talents.
1. Avoir de bons leaders
« Nous décelons aisément ceux qui ont un bon potentiel de leadership et les formons en ce sens, car ce sont eux qui peuvent vraiment permettre à une équipe de faire des étincelles. Chez nous, le leadership est caractérisé par six compétences : la prise de décision ; l'exécution ; la réussite grâce aux autres ; la collaboration ; le sens des affaires ; l'orientation client », dit-elle.
2. Faire participer chacun au maximum
« Si nous aidons un employé à briller, il brillera. C'est comme ça que nous avons mis au point, par exemple, l'outil d'innovation, un intranet où chacun peut présenter ses idées neuves. On les compte par dizaines chaque mois. Tout le monde peut en discuter en ligne, les enrichir et même leur donner une note. Les meilleures sont soigneusement analysées : des dizaines ont d'ores et déjà été concrétisées, pour le plus grand bénéfice de Kone et de leurs auteurs, bien sûr », indique-t-elle.
3. Encourager chacun à sa guise
« Les managers ont pour mission d'être à l'écoute des membres de leur équipe et de veiller à leur épanouissement au travail. Cela se traduit souvent, entre autres, par des horaires flexibles pour concilier au mieux le travail et la vie de famille », dit Mme Skippari.
Le niveau de satisfaction des employés est mesuré tous les ans à l'aide d'un sondage. Ces dernières années, il avoisinait les 80% de « globalement satisfaits ». Seul bémol : crise économique mondiale oblige, le nombre d'employés ne cesse de diminuer chez Kone depuis 2008...
SE FAIRE DIRE SES QUATRE VÉRITÉS
Bien souvent, plus on avance en âge, plus on a de certitudes. Ce qui représente un piège, car nous préférons parfois aller droit dans le mur plutôt que de remettre en question notre conviction d'être dans le vrai. Comment y remédier ? En embauchant... un bouffon.
Cette idée - loin d'être farfelue - provient d'une étude de deux professeures de management, Guje Sevon, de l'École d'économie de Stockholm (Suède), et Liisa Välikangas, de l'Université Aalto d'Helsinki. Elles considèrent en effet que les dirigeants d'entreprise et autres managers feraient bien d'avoir un bouffon dans leur entourage, ne serait-ce que pour se faire dire leurs quatre vérités sans pour autant blesser leur ego. Comme les rois d'antan.
Ainsi, Paul Birch a été recruté en 1994 par la compagnie aérienne British Airways en tant que « bouffon officiel ». Sa mission a consisté, pendant un an et demi, à intervenir auprès du conseil d'administration comme un bouffon le faisait au Moyen Âge auprès de la cour royale. Il devait faire des remarques dérangeantes aux administrateurs et leur poser les questions que plus personne n'osait leur soumettre. « Ce n'est pas parce que vous êtes le boss que vous êtes omniscient. Au contraire, on vous masque alors certains faits gênants, ce qui est contre-productif », dit Mme Välikangas, en soulignant que l'opération avait remporté un franc succès chez British Airways. Les avantages d'avoir un bouffon à ses côtés sont multiples : - Il sert d'antidote aux certitudes, plus paralysantes qu'autre chose quand survient un événement inattendu ;
- Il représente une mine d'idées fraîches ; en fait, d'idées qu'on avait déjà en soi, mais qu'on refusait de prendre en considération ;
- Il peut se faire le porte-parole du peuple (les employés, les managers, etc.), quand les messages de celui-ci ont du mal à atteindre la haute direction ;
- Il fait prendre conscience aux dirigeants de la fragilité du pouvoir ;
- Enfin, il permet de détendre l'atmosphère quand celle-ci est trop tendue.
« Aujourd'hui, il est tout à fait envisageable de recruter un consultant externe comme bouffon, pourvu que celui-ci accepte de jouer un tel rôle », dit Mme Välikangas. Car ce rôle est périlleux : « Quand quelqu'un agit en bouffon, il est étiqueté comme tel à vie », souligne-t-elle.
MISER SUR LA DIGNITÉ
Les managers gagneraient à renouer avec certaines vertus passées de mode. C'est du moins ce que pense le philosophe finlandais Pekka Himanen, qui se réclame depuis quelques années du concept de « leadership basé sur la dignité ».
La dignité ? Oui, le fait de respecter autrui au plus haut point, comme un autre soi, sans quoi la vie en société devient vite infernale. Ce souci de l'autre qui, seul, peut nous rendre meilleur : « Le leadership peut s'exprimer de différentes façons, comme la peur, la sanction ou encore la récompense. Mais les grands leaders ont tous adopté une autre approche, celle de la dignité », dit-il dans une publication du cabinet-conseil Roland Berger, en songeant à « Gandhi, Luther King et autres Mandela ».
Avoir une attitude ouverte aux autres, quels qu'ils soient, est toujours enrichissant, même si cela n'est pas toujours facile. « Si vous voulez être perçu comme un grand leader, créez un environnement de travail où règne la dignité, c'est-à-dire où chacun peut exprimer tout son potentiel et être soutenu dans ses projets », conseille celui qui a figuré parmi les 200 Young Global Leaders de 2005.
Le philosophe va plus loin. Il invite à lier cette nouvelle culture d'entreprise à une mission plus large axée elle-même sur la dignité. Cette mission permettrait à chaque employé de se sentir engagé dans une aventure magnifique, et donc de s'investir plus que jamais. Elle permettrait aussi à l'entreprise de se faire connaître de tous, voire de susciter la sympathie. Bien entendu, il ne s'agit pas simplement de s'associer à une cause humanitaire et de dégager des employés pour les laisser faire du bénévolat au nom de la boîte. Il faut viser plus grand et orienter les activités mêmes de l'entreprise vers la cause choisie.
Comment entreprendre une telle opération ? « Posez-vous des questions », dit-il. Par exemple, le produit que vous fabriquez ou le service que vous offrez est-il éthique et responsable ? En quoi contribue-t-il à faire avancer la société dans son ensemble ? Peut-il rendre certaines personnes heureuses ? Et d'autres, malheureuses ? Pouvez-vous lui donner une nouvelle dimension (culturelle, environnementale, sociale, etc.) ?
« N'ayez pas peur de mettre en oeuvre les talents de votre entreprise au service d'une cause, poursuit le professeur invité d'Oxford. Cette dernière peut, en effet, vous ouvrir des marchés et vous aider à transformer un défi en occasion d'affaires. »
REPENSER LA JOURNÉE
Saku Tuominen est cofondateur du Groupe Idealist, une boîte de production... d'idées ! Fondée il y a deux ans à Helsinki, celle-ci fourmille de trouvailles plus originales les unes que les autres.
LES AFFAIRES - Pouvez-vous nous donner une idée détonante ?
SAKU TUOMINEN - Le 9 à 5, c'est obsolète. Si l'on veut être vraiment efficace, il ne faut pas travailler toute la matinée, prendre une pause, puis enchaîner avec d'autres longues heures de travail. L'idéal, c'est de travailler pendant une heure et demie, prendre une pause, puis encore une heure et demie, etc.
L.A. - Qu'est-ce qui vous permet de l'affirmer ?
S.T. - Les organisateurs des événements liés au fait que Helsinki est la capitale mondiale du design pour 2012 nous ont demandé de leur indiquer une chose - une seule - qui pourrait vraiment améliorer nos vies si on changeait son « design » au sens large. Nous avons tout de suite pensé au travail. Nous avons alors scruté à la loupe le quotidien d'un millier de travailleurs finlandais issus de toutes sortes d'horizons, pour découvrir ce genre de choses.
L.A. - Qu'avez-vous découvert d'autre ?
S.T. - Eh bien, par exemple, au lieu d'enchaîner deux réunions d'une heure, mieux vaut faire deux réunions de 45 minutes, pas plus, avec une pause de 15 minutes entre les deux. Ça vous laisse même 15 minutes à la toute fin pour consulter vos courriels, voire faire une petite promenade pour souffler un peu.
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4e Place de la Finlande dans le classement mondial des pays les plus concurrentiels, établi en 2012 par le World Economic Forum. Une place obtenue, en partie, grâce à la productivité des Finlandais
11e Place de la capitale de la Finlande (Helsinki) dans le palmarès des meilleures villes du monde où lancer une entreprise, d'après la Banque mondiale. L'un de ses avantages ? La qualité de vie au travail.