L'idée de C2-MTL avait de quoi effrayer : créer d'emblée un événement d'envergure internationale, qui de surcroît réunirait des personnes qui se côtoient peu, à savoir les gens d'affaires et les créatifs. Et pourtant, elle a su germer et fleurir. Voici comment.
Cela faisait des années que le Cirque du Soleil se faisait toujours poser la même question par ses partenaires d'affaires : «Quand organiserez-vous un événement qui expliquera la façon dont vous vous y prenez pour gérer des personnes créatives ?» Si bien qu'un beau jour de 2008, Daniel Lamarre, pdg du Cirque, en a touché deux mots à Jean-François Bouchard, pdg de Sid Lee. Après cette discussion, l'agence montréalaise s'est vu confier la mission de regarder ce qui se faisait déjà dans le genre à l'échelle de la planète et d'indiquer s'il y avait là une occasion d'affaires.
1. Validation
Sid Lee a alors analysé à la loupe les conférences TED Talks, Wobi et autres Ideas Economy, pour finir par relever leur point commun : elles recourent toutes au même procédé, à savoir la présentation par des experts de leur idée phare devant un parterre de gens d'affaires. «Un manque flagrant d'originalité», souligne tranquillement M. Bouchard, assis sur le canapé noir de son bureau, les bras en croix derrière la tête.
À cela s'ajoutaient deux autres constats. D'une part, les événements analysés n'avaient aucun ancrage local particulier, ils pouvaient aussi bien se tenir à New York qu'à Paris. D'autre part, ils n'offraient aux participants qu'une stimulation intellectuelle, chacun se contentant d'être assis dans un bon fauteuil et d'écouter les experts qui lui étaient présentés. «Notre intuition nous disait qu'il y avait quelque chose à faire de neuf dans le domaine des événements. Mais quoi ?» poursuit-il.
2. Articulation
Au début de 2009, Benoît Berthiaume venait d'ouvrir un tout nouveau spa dans le Vieux-Montréal, avec ses associés de Scandinave Spa. Le défi était de constituer une clientèle à ce havre de paix et de détente au coeur de la ville, dans un ancien entrepôt maritime du Vieux-Port. Un travail de tous les instants, où l'erreur peut être fatale. C'est alors qu'est survenue une étrange demande : des gars d'une agence de pub voulaient louer le spa pour une durée de 24 heures. «Ce n'était pas du tout le genre de clientèle qu'on visait, et on ne voulait pas fermer pendant tout ce temps le spa à nos clients habituels. Je n'étais franchement pas chaud. Mais ils y tenaient tellement qu'on a fini par céder», raconte M. Berthiaume en souriant.
Les gars en question, c'était une trentaine de piliers de Sid Lee, dont une vingtaine d'associés. Ils avaient réussi le tour de force de tous se débloquer la même journée pour passer du temps ensemble et réfléchir sur tout et sur rien à propos de leur aventure commune. Ils voulaient se voir dans un lieu coupé du monde, mais pas à l'autre bout du monde. D'où l'idée d'investir ce tout nouveau spa, tout un jour et toute une nuit.
«Ils ont beaucoup discuté, beaucoup réfléchi, beaucoup ri. Ils se sont bien amusés, je pense. Et puis ils sont repartis, et on a pu reprendre notre activité normale», se souvient M. Berthiaume.
De quoi ont-ils parlé ? «Le but principal de l'opération était de brainstormer sur la tournure que nous pourrions donner à l'événement, raconte M. Bouchard. Nous avons fonctionné par petits groupes interchangeables. Différentes activités avaient été organisées pour dynamiser la réflexion. À la toute fin, nous étions tous galvanisés par l'idée d'événement qui nous était ainsi venue.» Ils n'ont dormi «que deux ou trois heures», dit-il.
Trois lignes directrices ont émergé :
> L'événement devait être stimulant pour les participants, tant sur le plan intellectuel que sur le plan émotionnel.
> Il devait réunir des gens qui ne se voyaient que trop rarement, à savoir les gens d'affaires et les créatifs.
> Il devait permettre à Montréal de rayonner internationalement par sa créativité.
3. Coalition
En 2010, Benoît Berthiaume a connu ce qu'on appelle classiquement une crise de la quarantaine et a décidé de prendre un peu de recul par rapport à Scandinave Spa. Il était mûr pour un changement. «J'ai traversé la rue - j'habite juste en face de Sid Lee - et je suis allé voir Jean-François Bouchard à son bureau. J'avais eu vent que cette agence faisait des choses innovantes, j'étais curieux d'en savoir un peu plus. Vingt minutes après, je repartais avec leur idée d'événement sous le bras, chargé de voir comment on pourrait la concrétiser», dit-il.
L'enjeu était maintenant de trouver des partenaires disposés à avancer de l'argent. Un enjeu épineux : «Chaque fois que je parlais du projet, à des cocktails et ailleurs, tout le monde était emballé, mais dès que j'abordais notre besoin de soutien financier, l'enthousiasme tombait d'un coup», poursuit-il.
«C'était le serpent qui se mord la queue : les instances publiques voulaient bien nous appuyer, mais à condition que des partenaires privés s'engagent au préalable ; et les entreprises nous disaient qu'elles voulaient bien embarquer dans le projet, mais pourvu que des instances publiques s'engagent les premières», explique M. Bouchard.
Heureusement, certains ont eu plus de cran que d'autres, comme Tourisme Montréal et la Fondation de la famille Claudine et Stephen Bronfman. «En décembre 2010, j'avais obtenu pour deux millions de dollars de lettres d'engagement auprès de partenaires privés. Du coup, Clément Gignac [à l'époque ministre du Développement économique, de l'Innovation et de l'Exportation] a ajouté la même somme à notre pécule. Nous étions enfin en business», dit M. Berthiaume, devenu dès lors pdg de l'organisation à but non lucratif C2-MTL. «Je croyais et je crois toujours que le label "créativité" correspond à Montréal, dit Charles Lapointe, pdg de Tourisme Montréal. Tourisme Montréal a voulu donner l'impulsion de départ à un événement qui en est la preuve et qui fait la promotion de la créativité montréalaise.»
4. Réalisation
18 mois. Telle était l'échéance fixée au tout début de 2011 pour donner naissance à l'événement. «Nous nous sommes donné six mois pour explorer les différentes voies possibles afin de concrétiser le projet. Un travail mené conjointement avec l'agence Daily tous les jours, notamment à l'origine des balançoires musicales du quartier des spectacles de Montréal. Le choix était difficile à faire, car le concept de l'événement est riche comme une boîte de bonbons dans laquelle on voudrait piger sans jamais s'arrêter», dit Nadia Lakhdari, vice-présidente, programmation et contenu, de C2-MTL. La deuxième édition se tiendra à l'Arsenal du 21 au 23 mai.
Résultat ? L'événement tiendrait sur trois journées. Il se déroulerait dans un lieu inusité et transformé, où les participants pourraient trouver de l'inspiration tout autour d'eux - pas seulement en assistant aux conférences - et même vivre des émotions fortes. Il accueillerait des gens venus des quatre coins de la planète, qui en repartiraient stimulés comme jamais.
Puis, ce fut le sprint pendant les 12 derniers mois. Il a fallu monter une équipe : «Je voulais non seulement des personnes qui ne connaissaient rien à l'événementiel - pour leur fraîcheur -, mais aussi des personnes solides - pour leur expérience dans la gestion de projet. Un mix subtil», raconte M. Berthiaume.
Il a également fallu convaincre d'éminents conférenciers de venir à C2-MTL, ce qui était complexe, car la plupart préfèrent décliner toute participation aux premières éditions d'événement. «J'ai lâché un gros "YES !" quand notre première star [Robert Wong, directeur de création principal chez Google Creative Lab] nous a dit "oui"», poursuit-il. Il a encore fallu monter en très peu de temps les installations éphémères de la New City Gas, dans le quartier Griffintown, qui comprenaient des conteneurs aménagés pour se rencontrer et se détendre, des kiosques de restauration biologique et même une immense bulle de plastique où l'on pouvait laisser libre cours à sa créativité.
«Nous avions sous-estimé la complexité de tout mettre en place dans les derniers jours. C'était une première pour nous, si bien qu'il a fallu nous adapter aux difficultés qui surgissaient de toutes parts», dit Mme Lakhdari.
Bilan : 1 250 participants issus de 34 pays et de 30 industries, dont 85 % étaient des pdg, des membres de la haute direction ou des cadres supérieurs ; et des conférenciers de haut vol, comme l'oscarisé Francis Ford Coppola, Michael Eisner, ex-pdg de Disney, et Patrick Pichette, chef de la direction financière de Google.
«Mon plus beau souvenir, c'est ce qui m'est arrivé lors de la deuxième journée, dit Jean-François Bouchard. Dans la cour centrale, un type tatoué partout m'a arrêté pour me dire "Hé, c'est super, C2-MTL, c'est super stimulant !" Et à peine cinq minutes plus tard, un haut dirigeant d'une grande institution financière canadienne m'arrête pour me dire "Hé, bravo, c'est vraiment stimulant cet événement !" Les deux étaient aux antipodes et ont pourtant utilisé le même mot, «stimulant». Je me suis dit que la mission était accomplie.»
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TROIS CONSEILS DE JEAN-FRANÇOIS BOUCHARD, PDG DE SID LEE
«Quand vous dressez un plan d'affaires, veillez à ce qu'il soit visuel. Pour C2-MTL, nous avons fait des dessins pour montrer aux partenaires potentiels ce à quoi ressemblerait l'événement. Car, pour convaincre, mieux vaut faire voir que laisser imaginer.»
«Les idées audacieuses peuvent être paralysantes. Pour y remédier, progressez pas à pas, sans penser à tous les pas qu'il faudra faire pour franchir la ligne d'arrivée.»
«L'action alimente la réflexion. N'ayez donc pas peur d'avancer, même si vous savez que vous n'avez pas encore tous les éléments en main.»
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5,2 M$
Les retombées économiques du premier C2-MTL ont été de 5,2 M$ pour la métropole.
Source : Institut de la statistique du Québec
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8 M$
Le premier C2-MTL a généré des revenus de 8 M$.
Source: C2-MTL