BLOGUE. Je parie que vous ne connaissez pas Russ Hiebert. Pourtant, ce jeune député conservateur d’arrière-banc de la Colombie-Britannique âgé de 43 ans a décidé courageusement de s’attaquer aux organisations les plus puissantes du pays : les syndicats.
M. Hiebert a été tiré au sort le premier à la loterie parlementaire, ce qui garantit à son projet de loi d'être étudié en premier. Il a décidé de présenter un projet de loi privé (le projet de loi C-377) dont l’objectif est d’améliorer la transparence et l’imputabilité des syndicats de travailleurs. Ce projet de loi obligera les syndicats à fournir au gouvernement un rapport annuel contenant leurs états financiers ainsi qu'une liste ventilée de leurs dépenses. Toute dépense de plus de 5 000 $ devra être inscrite séparément avec le nom et l'adresse de celui à qui la somme a été versée, une description du bien ou service obtenu en retour et son objectif. Tout prêt de plus de 250 $ devra également être répertorié séparément. Le salaire des dirigeants des syndicats ainsi que de leurs employés et contractuels devra aussi être divulgué, de même que les bénéfices de toute sorte leur étant versés, y compris les bonus, les sommes forfaitaires, les cadeaux, les véhicules mis à leur disposition (y compris les luxueux yachts!).
Russ Hiebert se défend bien d'afficher des velléités antisyndicales. «De la même manière que les organismes de bienfaisance, les syndicats jouissent d'un bénéfice substantiel à travers le système de taxation, et le public devrait savoir comment ce bénéfice public est utilisé», a-t-il expliqué. Le député explique que les syndicats jouissent d'une exemption d'impôt et qu'il est à ce titre tout à fait normal que l'État réclame des comptes sur l'utilisation faite de l'argent découlant de ce privilège.
Les syndicats canadiens hors-Québec sont montés aux barricades. Ils auraient même, selon la rumeur, proposé à M. Harper d’appuyer les projets de pipeline dans l’Ouest canadien en échange d’un abandon du projet de loi. Les organisations syndicales québécoises, quant à elles, ne se sont pas objectées au projet de loi. Le président de la Fédération des travailleurs du Québec, Michel Arsenault, a indiqué qu'il n'avait rien contre le projet de loi puisque les syndicats fournissent déjà quantité d'informations à leur membre. «Mon salaire n'est pas caché. TVA a même ouvert les nouvelles deux soirs de suite avec ça.». Quant à la CSN, elle publie certaines informations financières sur son site web. Difficile donc de parler des deux côtés de la bouche!
Dans ma tournée en vue du conseil général de l’ADQ en 2011, j’avais proposé une mesure semblable. Quelques intervenants m’avaient traité d’extrême-droite et d’anti-syndicaliste. Ma réponse : « je ne suis pas anti-syndical, je suis pro-travailleur ». Puisque les travailleurs sont forcés par la loi de payer des cotisations syndicales, ils bénéficient d’un droit que d’autres organisation sans but lucratif n’ont pas : une clientèle captive. Les syndiqués devraient donc avoir le droit de recevoir automatiquement, sans être obligés d’en faire la demande, les états financiers détaillés du syndicat. Et puisqu’un syndiqué devrait bien avoir le droit de montrer ces états financiers à qui il veut, il ne devrait pas y avoir d’objection à ce qu’ils soient rendus publics à tout-le-monde.
Cette transparence assurerait la responsabilisation et l’imputabilité des syndicats par une transparence accrue. Elle permettrait aux travailleurs de prendre des décisions plus éclairées concernant leur préférence dans le choix de leur représentant pour négocier et administrer leur convention collective. Cette divulgation permettrait aux travailleurs de déterminer si les services et les performances d’un syndicat valent les frais que ces derniers chargent à leurs membres, principalement sous forme de cotisations syndicales.
La transparence entraîne et est essentielle pour l’imputabilité et la responsabilisation des syndicats. La communication publique des informations financières permet aux travailleurs et aux parties intéressées de déterminer la pertinence, l'efficacité et l’efficience des dépenses syndicales de façon anonyme, ce qui est un aspect clé de la confidentialité qui est nécessaire pour permettre aux travailleurs qui paient ces cotisations syndicales de tirer leurs propres conclusions sans influence des représentants syndicaux, d’autres travailleurs ou des employeurs. En ce sens, la divulgation publique protège non seulement les membres du syndicat mais elle leur permet aussi d'identifier les problèmes financiers s’il y en a. La divulgation publique de la provenance et de l’utilisation des cotisations syndicales rend le détournement de ces fonds par des individus beaucoup plus difficile.
On m’a fait valoir que la divulgation permettrait aux syndicats forts de faire du maraudage auprès des syndicats financièrement faibles. Mais n’est-ce pas une bonne idée de susciter de la concurrence entre syndicats qui veulent s’arracher la clientèle de ces membres? Si le syndicat est faible, ne voudrait-on pas que les employés puissent intéresser d’autres syndicats à venir les renflouer?
On craignait aussi que les employeurs n’utilisent l’information financière pour jauger les ressources financières du syndicat en cas de grève. Voilà un argument assez faible puisque les syndicats qui n’ont pas un important fond de grève peuvent se retourner vers d’autres sources de fonds (banques, autres syndicats) pour soutenir leur fond de grève.
On me disait aussi que les membres recevaient déjà l’information. Alors, leur ai-je répondu, quel est votre problème si vous la donnez déjà? Un participant à ma tournée adéquiste m’a bien expliqué le problème: tu demandes les états financiers, tu risques fort d’être ostracisé.
En bout du compte, les lacunes de divulgation financière des syndicats, l’opacité dans laquelle ils opèrent et les nombreuses allégations et rumeurs de corruption et de détournement de fonds qu’on a pu voir dans les médias depuis trois ans ont miné la crédibilité des organisations syndicales au Québec, réduisant d’autant leur efficacité et leur légitimité et ont jeté sur elles un voile de suspicion et de méfiance que la plupart d’entre eux ne méritent pas.
La Commission Charbonneau ne fait que commencer son travail et on peut s’attendre à des révélations embarrassantes sur les pratiques syndicales québécoises dans l’industrie de la construction. Espérons que les efforts de M. Hiebert recevront l’approbation du Parlement, ce qui permettra aux syndicats québécois de regagner la confiance de leurs membres qui sera rudement mise à l’épreuve au cours des prochains mois.