BLOGUE. En 1996, mon entreprise CFCF Inc. reçut une offre de prise de contrôle hostile de la part de Cogeco à 12$ par action. Il me fut facile de convaincre les actionnaires que mon plan stratégique augmenterait assez rapidement la valeur de l’entreprise bien au-delà de cette somme. Mais quand Vidéotron répliqua à 21,50$ l’action, je dois avouer qu’il m’était devenu impossible de les convaincre de voter pour mon plan stratégique plutôt que de prendre l’argent tout-de-suite.
J’en viens à Rona. Comme je l’écrivais cet été, Rona n’est plus un fleuron mais plutôt un cancre boursier avec des revenus stagnants depuis cinq ans mais des résultats qui, de 190 M$ de profits, ont viré au rouge avec une perte de 86,4 M $ en 2011, entraînant une chute de 50% du cours de l’action depuis 2007. Rona échoue devant ses compétiteurs quant à tous les indicateurs de performance habituels. Certains analystes ont évalué que les actifs de Rona, s’ils étaient vendus séparément, vaudraient beaucoup plus que le prix actuel de l’action. La pérennité de Rona est en jeu, mettant en péril l’avenir à long-terme de ses employés, de ses marchands et de ses fournisseurs. Je comprends donc le geste du conseil d’administration de Rona et de son président du conseil, Me Robert Paré, un excellent avocat qui avait d’ailleurs représenté le comité spécial du conseil d’administration de CFCF Inc. en 1996.
Et qui sont ces sauveurs de Rona qu’il faut remercier pour avoir ouvert les yeux du conseil d’administration? Ce ne sont certainement pas la Caisse et le Fonds de solidarité qui ont volé au secours de l’entreprise cet été pour protéger le statu quo. En fait, ce sont les actionnaires activistes de Rona et la compagnie Lowe’s que l’on doit remercier. Ces actionnaires activistes n’ont cessé de « brasser la cage » du conseil d’administration depuis des semaines, persistant, malgré le mutisme de la compagnie, à demander des comptes sur une performance aussi désastreuse. Sans l’activisme des actionnaires de Rona à Toronto et Vancouver et sans l’offre de Lowe’s (qu’ils ont peut-être dénichée, qui sait?), on peut parier que M. Dutton continuerait aujourd’hui à nous expliquer pourquoi son plan finirait par marcher.
Il faut donc se féliciter d’avoir un système corporatif qui permet aux actionnaires, ceux qui ont mis leurs billes au jeu, et non au conseil d’administration de décider en finale du sort d’une entreprise. Ce n’est que grâce aux actions des activistes et de Lowe’s que le conseil a fini par admettre qu’il n’était plus possible de défendre le plan stratégique et la création de valeur utopique qu’il sous-tendait face à une offre à 14,50$ - tout comme je n’étais plus capable de convaincre les actionnaires de CFCF Inc. de conserver leurs actions face à une offre à 21,50$.
Des voix se sont élevées contre l’activisme d’actionnaires comme ceux de Rona. Le professeur Yvan Allaire, président de l’IGOPP, a proposé de reléguer aux oubliettes les droits de propriété des actionnaires de Rona sur lesquels se fonde notre économie de marché capitaliste. Il a soutenu que le conseil d’administration de Rona devrait avoir le pouvoir de refuser l’offre de Lowe’s à la lumière non pas des intérêts des actionnaires mais plutôt des intérêts de la « société et de toutes ses parties prenantes » (une mesure que l’ex-ministre des finances Bachand s’est empressé d’appuyer pendant la campagne électorale). Il a aussi semblé déplorer que Rona n’ait pas adopté une structure de capital à double classe d’actions donnant le contrôle de la société « à un actionnaire ou à un groupe d’actionnaires reliés » pour qu’il soit impossible pour quiconque de mener une opération « hostile » pour acquérir l’entreprise. Il a enfin décrié le droit pour certains actionnaires, qu’il a de façon amusante qualifié d’actionnaires-touristes, d’avoir le droit d’acheter et de voter les actions de Rona dans le seul but d’accepter l’offre de Lowe’s.
Ces propositions sont mal ficelées et mal venues. Le conseil d’administration est élu par les actionnaires pour agir dans les meilleurs intérêts de la compagnie. Et s’ils ne font pas leur boulot, les actionnaires doivent pouvoir aisément soit les dégommer, soit trouver un acheteur pour l’entreprise – et c’est à eux, pas aux administrateurs, de décider du sort d’une telle vente car, après tout, c’est leur argent qui est en jeu, pas celui des administrateurs. Sans ce mécanisme de reddition de compte et de contrôle, un conseil d’administration risque de s’asseoir sur son « steak » et d’encaisser ses jetons de présence sans craindre les foudres des actionnaires mécontents. Contrairement à certains États américains qui ont bafoué les droits de propriété des actionnaires en les empêchant de voter sur une offre de prise de contrôle, il faut donc, tout au contraire, respecter les droits de propriété des actionnaires et faciliter le remplacement de gestionnaires et d’administrateurs complaisants. Il n’y aura rien de mieux que la menace de perdre leur emploi pour les rendre plus attentifs aux attentes de leurs commettants!
A propos de ce blogue. Adrien Pouliot, un avocat de formation, est un homme d’affaires qui a œuvré en communications d’abord à CFCF Inc. où il en est devenu le président puis comme propriétaire et président d’Entourage solutions technologiques. Il est actuellement président de Capital Draco Inc., un fonds d’investissement privé. M. Pouliot a siégé sur de nombreux conseils d’administration d’entreprises publiques et privées et d’organismes en santé et en éducation. Il a présidé le conseil de l’Institut économique de Montréal et de la Ligue des contribuables et il a été, en 2011, vice-président de la Commission politique de l’ADQ.